« J’ai beaucoup écrit sur la médecine, disait-il[1] : articles de journaux, articles de dictionnaires, monographie sur le choléra, édition d’Hippocrate ; j’ai vécu dix ans dans les hôpitaux comme externe, comme interne, comme disciple assidu à la visite de M. Rayer, et cependant je n’ai passé aucun examen, n’ai aucun titre médical et ne suis pas docteur. » Voici comment il expliquait cette bizarrerie de conduite. En 1827, il avait ses seize inscriptions et se préparait à subir ses examens, quand son père mourut. Cet événement changea sa position et l’obligea de pourvoir non-seulement à sa subsistance, mais aussi à celle de sa mère. Il jugea qu’il devait renoncer à l’avenir médical et n’eut pas la hardiesse de grever son avenir en essayant de s’établir médecin à Paris, installation dispendieuse et toujours incertaine. Il donna des leçons sans renoncer pourtant aux études médicales. Par une ténacité d’esprit qui le portait à ne pas vouloir perdre, en l’abandonnant, les fruits d’une étude commencée, il continua à suivre, en disciple bénévole, la clinique de M. Rayer à la Charité, où il se lia très intimement avec des jeunes gens de la plus grande distinction, ses camarades d’hôpital, Michon et Natalis Guillot. Dans la suite, il ne pratiqua la médecine que par hasard, dans le petit village où il demeurait l’été, à Mesnil-le-Roi, près Maisons-Laffitte, où il lui arrivait de donner à l’occasion quelques soins gratuits et très recherchés aux paysans ses voisins. Il faut voir de quel ton modeste et avec quelle sensibilité il en parle : « Prudent et réservé, j’ai certainement été utile à ces paysans, et de cette utilité j’ai obtenu la meilleure des récompenses dans leur reconnaissance, manifestée par un bon vouloir constant et, au besoin, par des services. Là aussi j’ai éprouvé, pour ma part, combien la médecine peut causer d’angoisses, quand dans un cas grave où il y va de la vie et de la mort, l’incertitude du diagnostic ou du traitement et la crainte de s’être trompé suscitent de cuisans regrets qui ressemblent à des remords. Il n’y a point de parité entre la responsabilité du médecin et son pouvoir; l’une est grande et l’autre est petit, et c’est justement à cause des limites où ce pouvoir est resserré que, bien qu’il soit très facile d’en laisser perdre une parcelle, la moindre parcelle perdue cause une poignante anxiété. » Et ailleurs il touche presque à l’éloquence en parlant de l’utilité morale et intellectuelle qu’il a trouvée dans la médecine : u Je ne troquerais pas contre quoi que ce soit cette part de savoir que j’ai jadis conquise par un labeur persistant. Pour l’homme qui ne craint pas de compatir avec les lamentables misères de la nature humaine, soit qu’elle se montre
- ↑ Médecine et Médecins, préface.