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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/54

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d’un lourd monument de pédanterie, de misérable casuistique et de formalisme religieux. Ces deux jumeaux sont assurément les deux créatures les plus dissemblables qui soient jamais sorties du sein d’une même mère. Quelque chose de barbare et d’inintelligible, un mépris désolant de la langue et de la forme, un manque absolu de distinction, de talent, font du Talmud un des livres les plus repoussans. qui existent. » Si vraiment il n’y a rien dans le christianisme qui n’ait été dans le judaïsme auparavant, comment ont-ils pris tous deux des routes si diverses et d’où vient qu’après quelques années ils se ressemblent si peu ? En supposant que leurs principes étaient les mêmes à l’origine, ne faut-il pas admettre que si ces principes, chez les Juifs, n’ont pas produit les mêmes effets, c’est qu’ils ont manqué du ferment qui rend la masse féconde ? Ce ferment, c’est le christianisme même, c’est-à-dire un élément nouveau, qui se mêlant aux élémens anciens les renouvelle. Du reste, M. Renan fait remarquer avec beaucoup de justice que, dans la création des œuvres de charité qui signalèrent le début de l’église, une grande part doit être faite au judaïsme : il s’est de tout temps distingué par le soin des pauvres, il a toujours fait de l’aumône un précepte rigoureux. La différence est plus frappante entre le christianisme et le monde romain. Ce n’est pas que les philosophes de la Grèce et de Rome n’aient plus d’une fois proclamé qu’il faut s’aider les uns les autres et qu’il n’y a pas de plus noble emploi de la fortune que d’en faire quelque part à ceux qui en sont privés. Cicéron disait en des termes qui semblent chrétiens « que la nature prescrit à l’homme de faire du bien à son semblable quel qu’il soit, par la seule raison qu’il est homme comme lui. » On avait même essayé de tirer de ces beaux préceptes quelques conséquences pratiques. Dans les grandes villes peuplées d’ouvriers, des associations s’étaient formées qui avaient beaucoup de ressemblance avec nos sociétés de secours mutuels. Un peu plus tard, l’empire créa de grandes institutions de bienfaisance qui lui font beaucoup d’honneur, et dont il tira probablement beaucoup de profit. Mais le principe qui inspirait cette bienfaisance politique était l’intérêt de l’état, non le bien de l’humanité ; on s’occupait des enfans des pauvres pour fournir un jour des soldats aux légions ; on soulageait la misère du peuple pour l’empêcher d’en venir à ces extrémités qui changent si vite les malheureux en révoltés. Ce n’est pas ainsi que les chrétiens entendaient la charité ; il suffit de lire M. Renan pour en être convaincu.

J’ajoute encore une réflexion qui n’est pas sans importance. En insistant comme il l’a fait sur cette première partie de l’histoire de l’église, M. Renan nous aide à résoudre certaines questions historiques auxquelles il ne paraît pas d’abord aisé de répondre. A force