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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/583

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temporairement ? Est-ce qu’un propriétaire croit s’amoindrir ou compromettre son bien en l’affermant pendant neuf ou douze ans ? et neuf ou douze ans ne sont-ils pas infiniment plus dans la vie d’un homme que quinze ans dans celle d’une nation ? L’objection n’a donc aucune force. Il s’agit simplement de comparer les concessions que les compagnies font à l’état avec la concession unique que l’état fait aux compagnies. Les premières ont une si grande importance qu’il est fort à craindre que la situation financière des compagnies n’en soit affectée ; l’unique concession faite par l’état, au contraire, est en quelque sorte d’ordre public ; en l’absence même de toute contre-partie, on devrait l’accorder dans l’intérêt général. L’exploitation des chemins de fer est en effet soumise aux mêmes conditions que toutes les industries. Pour fonctionner régulièrement, pour s’améliorer, pour recourir à des procédés nouveaux, pour appliquer des réformes, il faut qu’elle ait devant elle de la stabilité, de la sécurité pendant un certain laps d’années. Comment agrandir les gares, multiplier les voies, transformer le matériel, faire des sacrifices sur le présent en vue de l’avenir si, à chaque instant, l’état peut venir mettre sa lourde main sur les compagnies, leur signifier brutalement le rachat et les évincer de leur domaine avant que les nouvelles immobilisations de capitaux aient pu porter leur fruit ? Il serait absurde de demander au tenant at will irlandais une culture intensive et soignée ; il serait chimérique de vouloir que le locataire d’une usine affermée pour six mois ou pour un an perfectionnât l’outillage et la fabrication ; il ne l’est pas moins de croire que, sous la menace incessante du rachat, les compagnies puissent faire bénéficier le public d’une exploitation conduite dans un esprit de progrès et de réforme. Ce sont là des vérités tellement évidentes qu’on rougit presque d’avoir à les rappeler aux membres du parlement français.

Tant que la question de rachat n’était pas posée, on pouvait rester dans le statu quo, parce que, en dehors de tout texte formel, la longue possession, les dispositions connues du public et du parlement donnaient aux compagnies la confiance dans l’avenir. Aujourd’hui cette confiance est détruite par des attaques systématiques et incessantes ; on doit la rétablir. Il faut choisir entre le rachat et la renonciation au rachat pendant quinze ans. Quant à nous, notre conviction personnelle et absolue, c’est que l’état ne rachètera pas. Il ne se trouvera pas parmi les membres les plus audacieux et les plus présomptueux de la chambre un ministre des finances assez téméraire et assez aveugle pour, quand il aura pris possession de son ministère, quand il connaîtra la situation financière réelle, se lancer dans une entreprise aussi ruineuse. Certes M. Allain-Targé