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enfanter le poète des Harmonies ? Quel est aujourd’hui l’écolier qui prépare sa tragédie en cinq actes ou qui répond à son père en s’inspirant d’Ossian ? M. Dufaure, en recevant ces lettres, pensait à Millevoye, demandait à son fils s’il entendait lui succéder et le plaisantait sur un ton qui ressemblait à un encouragement. Mais l’hiver était venu et avait glacé la muse. La première inscription de droit avait réveillé d’autres ambitions.


III.

« Je veux être docteur en droit en trois ans, écrivait-il. Il n’y a ici que M. Dupin, ancien membre de la chambre des députés, qui l’ait fait. Aussi tu trouveras de l’audace dans mon projet. » Il mit autant de résolution à l’accomplir qu’il avait eu d’énergie à le concevoir. La tâche n’était ni aisée ni séduisante.

Ceux qui font de nos jours leurs études de droit, au milieu de facilités de tous genres, ne se doutent guère de ce qu’était la science du droit en 1816. L’étudiant d’alors pouvait suivre des cours remarquables, écouter des savans professeurs tels que Pardessus, Delvincourt ou Pigeau ; mais à travers les codes dont on admirait l’unité comme un bienfait, sans avoir eu le temps d’approfondir leurs savantes combinaisons, apparaissait l’ancien droit qui pesait de tout son poids sur l’enseignement, pendant que les souvenirs contradictoires et les rapides secousses de la législation intermédiaire compliquaient les problèmes et obscurcissaient les solutions. Pour se borner aux articles des codes, les professeurs étaient trop près des grandes discussions auxquelles leur rédaction avait donné lieu ; nourris dans leur jeunesse du droit coutumier et du droit romain, cherchant à en concilier les tendances opposées et forcés d’interpréter les vieilles chartes pour fixer les limites de la propriété féodale, les jurisconsultes de ce temps étaient plus préparés à résoudre les problèmes auxquels donnait naissance le conflit de législations diverses qu’à enseigner dans sa simplicité un corps de lois. Le recueil de Merlin, hérissé de questions de droit résultant du choc de principes contraires, donne la plus juste image de ce chaos au milieu duquel se débattait la science. De synthèse bien faite, de précis faciles à saisir, les étudians n’en connaissaient pas ; ils avaient à choisir entre la sécheresse du code ou. L’étendue de commentaires disproportionnés.

En se dirigeant pour la première fois un matin d’hiver de la place Royale vers le quartier Latin, ce n’était pas l’étude des lois qui faisait battre le cœur de celui dont nous avons suivi la jeunesse. Depuis longtemps, il attendait le jour où il pourrait librement aller s’asseoir parmi les heureux auditeurs du maître que l’année précédente