les plus divers, et le présent nous remet sans cesse en face du passé. L’aspect du pays s’est modifié sans doute ; il est plus mal cultivé, moins riche qu’autrefois. Les villes ont perdu les admirables monumens dont elles étaient ornées, et elles sont encombrées de ruines que personne ne songe à relever. On les reconnaît pourtant ; elles gardent quelque chose de leur ancien caractère, et la population qui remplit leurs bazars infects, leurs rues étroites et sales n’est pas très différente de celle d’autrefois. Ce sont toujours des villes banales où toutes les races et toutes les religions se donnent la main ; point de patriotisme, peu d’esprit politique et municipal, quelque chose de léger, de passionné, de mobile, et en l’absence de traditions communes et anciennes, l’amour des nouveautés hardies. « Le christianisme, dit M. Renan, fut un fruit de l’espèce de fermentation qui a coutume de se produire dans ces sortes de milieux où l’homme, dégagé des préjugés de naissance et de race, se met plus facilement au point de vue de la philosophie qu’on appelle cosmopolite et humanitaire que ne peuvent, le faire le paysan, le bourgeois, le noble citadin ou féodal. Comme le socialisme de nos jours, comme toutes les idées neuves, le christianisme germa dans ce qu’on appelle la corruption des grandes villes. Cette corruption en effet n’est souvent qu’une vie plus pleine et plus libre, un plus grand éveil des forces intimes de l’humanité. » M. Renan a souvent insisté sur cette idée que le christianisme n’a pas d’abord été prêché aux habitans des campagnes, qu’il a suivi les grands courans du commerce, qu’il s’est développé surtout dans ces capitales improvisées par un caprice de despote, comme Antioche ou Alexandrie, dans ces rassemblements industriels où s’entassaient des ouvriers de nationalités différentes. C’est une idée juste, et qui aide beaucoup à comprendre le caractère qu’il a pris et les œuvres qu’il a faites dans ces premières années.
Il serait aisé de montrer par des exemples tout ce que doit M. Renan à ses lectures et à ses voyages et comment ils lui ont servi à prendre lui-même et à donner aux autres une intelligence plus vive du grand événement dont il refait l’histoire. La vue des lieux surtout lui a été merveilleusement utile. Elle anime, elle précise les impressions fugitives que donnent les textes ; elle éclaire des passages obscurs, elle détermine le sens de détails qui semblaient vagues. Les paysages de la Galilée ont servi, pour M. Renan, de commentaire aux discours de Jésus ; en parcourant l’Asie, il s’est mieux rendu compte de la prédication des apôtres. Les villes levantines lui remettent devant les yeux les villes grecques ; ce qui se fait aujourd’hui l’aide à saisir ce qui se faisait autrefois. Saint Paul a dû voyager comme Benjamin de Tudèle, comme Ibn-Batoutah, comme tous les voyageurs arabes du moyen âge. « Ils circulaient d’un bout à l’autre du monde