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sans cesse des observations, des idées, des rapprochemens qui animent tous ses récits. Mais le moyen dont il se sert encore le plus volontiers pour voir clair dans le passé, c’est d’en comparer les événemens à ceux d’hier ou d’aujourd’hui. Tout lui sert, tout lui est bon pour dissiper une obscurité, pour rendre raison d’une bizarrerie, pour supprimer une incertitude. Il descend au besoin jusqu’aux temps et aux faits les plus voisins de nous. Les Mormons, le babisme, lui font comprendre certaines aberrations du sens religieux ; les horreurs de la Commune lui expliquent le siège de Jérusalem, et pour qu’on puisse avoir une idée de quelques sectaires à moitié fous de la première antiquité chrétienne, il n’hésite pas à les comparer à Cabet et à Babick. Cette méthode a ses inconvéniens sans doute, et M. Renan ne les a pas toujours évités ; mais c’est la seule qui puisse rendre le passé vivant. Pour communiquer la vie aux choses mortes, il faut bien la prendre où elle est, c’est-à-dire autour de nous, et l’on n’a pas trouvé d’autre moyen de comprendre les événemens anciens que de les rapprocher de ceux qui se passent sous nos yeux. Ce moyen a réussi très souvent à M. Renan ; il s’en est servi avec bonheur pour rendre le relief et la vie à des faits presque effacés, à des figures dont le temps n’avait laissé qu’une pâle esquisse : c’est un mérite qu’il me paraît difficile de lui contester.


III

Les progrès rapides du christianisme le dirigeaient vers les pays de l’Occident ; il y arriva de très bonne heure. Malgré son origine orientale, il semble qu’il ait éprouvé tout de suite une sorte d’attrait pour la ville qui était le centre et le cœur de l’empire. Jésus venait à peine de mourir que déjà des missionnaires inconnus traversaient la mer pour porter son nom à Rome. On y parlait de lui, on y discutait sa doctrine dès le règne de Claude. Quand saint Paul à son tour y arriva, il trouva une petite église toute formée qui vint à sa rencontre à une journée de marche, sur la voie Appienne, et l’accueillit avec une grande joie. Là, comme ailleurs, les fidèles s’étaient surtout recrutés parmi les pauvres habitans du quartier juif ; mais ils avaient pénétré aussi dans quelques maisons importantes, et il y en avait même au Palatin, dans la demeure des Césars. Saint Pierre vint un peu plus tard rejoindre saint Paul, et ils établirent tous les deux, dans la capitale du monde, le siège de leur active prédication. Au moment de l’incendie de Rome, sous Néron, Tacite laisse entendre que les chrétiens y étaient nombreux. M. Renan a donc raison de penser qu’à partir de ce moment, l’histoire de