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par sa sottise ; personne ne fut plus ridiculement dupe que lui des autres et de lui-même. Rien ne put jamais ébranler la bonne opinion qu’il avait de sa personne et de ses talens ; quoiqu’il payât ses maîtresses et organisât ses succès, il avait la prétention d’être aimé pour sa figure et applaudi pour son mérite. Dans l’histoire tragique des Césars qui ont mal fini, sa mort fut une des plus misérables. Caligula et Domitien ont lutté corps à corps avec leurs meurtriers, Othon s’est tué lui-même d’un seul coup ; au milieu des plus grands outrages Vitellius au moins sut se taire ; les dernières heures de Néron s’écoulèrent dans une lutte grotesque entre la vanité et la peur. Il s’étudiait à dire de grands mots, il essayait de prendre de belles poses qu’interrompaient vite les frissons de la mort prochaine. Laissons-lui toute sa médiocrité, ne diminuons pas ce qu’il y avait de vulgaire dans sa nature, gardons-nous de toute tentative pour l’idéaliser et le grandir : c’est une consolation de pouvoir mépriser à son aise les gens que l’on déteste.

Dans la peinture que fait M. Renan de l’entourage de Néron, il mêle à ses sévérités des complaisances qui ont choqué quelques personnes. Les contemporains de Cicéron remarquaient qu’il ne pouvait s’empêcher, malgré son honnêteté, d’avoir une sympathie secrète pour les mauvais sujets. Que de précautions ne prend-il pas quand il lui faut gronder Cœlius ! De même, M. Renan ne peut se résoudre à maltraiter Pétrone. « Après tout, nous dit-il, n’est pas roi de la mode qui veut. La fête de l’univers manquerait de quelque chose si le monde n’était peuplé que de fanatiques iconoclastes et de lourdauds vertueux. » Passe encore pour Pétrone ; assurément son roman ne sera jamais une lecture de famille, mais il a tant de grâce, tant de finesse, tant de raison, à travers ses folies, une si grande connaissance du monde, quoiqu’il n’en décrive que les mauvais côtés, tant d’esprit enfin pour dissimuler ses ordures, que je comprends qu’on lui pardonne beaucoup. Mais Poppée n’a pas droit aux mêmes égards. J’ai beau relire tout ce que l’antiquité nous dit d’elle, je ne trouve rien qui puisse fournir quelque prétexte à la réhabiliter. C’était la plus belle femme et la plus adroite courtisane de son temps, voilà tout. Dans ce que M. Renan appelle « le culte touchant de sa propre beauté, » je ne puis voir qu’une coquetterie effrontée. Elle prenait grand soin d’elle-même, elle se faisait suivre en voyage de cinq cents ânesses pour être sûre de ne jamais manquer de ce bain de petit-lait qui devait entretenir la fraîcheur de son teint ; elle se désolait quand elle se voyait un peu moins belle dans son miroir, parce qu’elle savait que le jour où elle cesserait déplaire à l’empereur, elle irait rejoindre Octavie. Un peu de passion et d’entraînement la rendrait peut-être excusable, mais elle s’aimait trop pour aimer personne. Elle était de