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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/737

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ou s’appuie sur la critique, espérait vivre, se réfugiant dans les journaux que la tourmente n’avait pas emportés. Peu s’en fallut qu’elle ne succombât aussi, car le gouvernement imagina d’entrer directement en concurrence contre les recueils périodiques qui existaient encore, et connue il avait à sa disposition des ressources que nulle caisse de journal n’a jamais possédées, cette concurrence fut redoutable. Il s’agissait de faire subir une transformation complète au Moniteur universel, qui était alors le journal officiel du gouvernement. Cette affaire me fut très douloureuse, parce que Louis de Cormenin y prit part, avec sa bonne foi habituelle, sans se douter du but que l’on visait, ni du résultat auquel on pouvait atteindre. M. Fould, ministre d’état, conseillé par un de ses familiers qui est mort fou et président de chambre à la cour des comptes, avait imaginé cette combinaison peu généreuse. Le Moniteur, le vieux moniteur, comme on l’appelait, était la Gazette nationale fondée en 1789 pour publier intégralement les délibérations de l’assemblée des états-généraux. Il était devenu l’organe officiel, le porte-voix des divers gouvernemens qui s’étaient succédé en France ; toute opinion politique lui était interdite, il ne pouvait avoir que celle du souverain, du ministère ou de la coterie en fonction. On y insérait les actes émanés de l’autorité du moment et les actes de notoriété; on y publiait le rendu compte in extenso des débats parlementaires (quand il y avait un parlement et quand le parlement pouvait débattre). En outre, dans une partie dite : partie non officielle, on faisait de la critique dramatique, on parlait des séances de l’Institut et parfois on imprimait quelque mémoire archéologique ou un rapport expédié par un savant chargé d’une mission. C’était un journal neutre, triste, peu lu et qui remplissait exactement l’objet pour lequel il avait été créé. Ses rédacteurs étaient choisis parmi de vieux hommes de lettres fatigués, parmi des pédagogues sans élèves et des savantasses sans prébende. Jamais on n’y avait vu un roman, ni une nouvelle : la littérature y était représentée, bien rarement, par des pièces de vers commandées ou composées en vue d’une circonstance déterminée, telle qu’une victoire, la naissance d’un héritier du trône, ou le mariage d’un souverain. Les collaborateurs de ce journal y trouvaient une rémunération fixe qui, pour beaucoup, n’était qu’une pension accordée à leur pauvreté et à leur vieillesse. C’était bien, et ça aurait dû rester ainsi. M. Fould entreprit la réorganisation du Moniteur et voulut en faire le plus important, le plus intéressant des journaux français. Rajeunir la rédaction un peu vieillote, agrandir le format, confier la critique d’art, la critique littéraire, la critique dramatique aux maîtres du genre, avoir des articles variétés écrits par les gens de lettres les plus célèbres, demander des