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LE NORD ET LE SUD.

Le lendemain de ce petit bal, nous avons quitté Richmond, et jamais départ n’eut lieu plus à contre-cœur. Dans cette ville que nous n’avons fait qu’entrevoir, nous nous sentions environnés de sympathie et de bonne grâce. Si bien que nous ayons été reçus dans le nord de l’Amérique, je me suis laissé dire que, pendant la guerre de 1870, les sympathies n’avaient pas été tout entières de notre côté, et qu’un peu de rancune du mauvais vouloir autrefois témoigné par le gouvernement français à la cause du Nord y entrant sans doute pour quelque chose, la joie bruyamment témoignée par l’élément germano-américain n’avait pas laissé de trouver un écho dans beaucoup de cœurs. Dans le Sud, au contraire, où l’élément allemand n’a guère encore pénétré, la sympathie était plus entière et nous commencions à nous en apercevoir lorsqu’il nous a fallu partir, un peu contre notre gré, pour passer de nouveau quelques jours à Washington. Ce regret général s’augmente pour moi par une considération particulière. J’aurais voulu profiter de mon séjour dans le Sud pour me faire une opinion personnelle sur deux questions qui m’ont préoccupé dès mon départ de France et qui naturellement ont acquis encore plus d’intérêt pour moi depuis que je suis sur les lieux mêmes. Quelles ont été dans le passé les causes véritables de la guerre de sécession? Quels sont aujourd’hui les sentimens réciproques du Sud et du Nord vis-à-vis l’un de l’autre? Sur ces deux points comme sur bien d’autres, je n’ai pu me faire que des impressions. Je les dirai avec d’autant plus de liberté que je serais prêt à les rectifier.

Cette première question : Quelle a été la véritable cause de la guerre de sécession? étonnera peut-être bien des gens, et ils répondront sans hésiter : L’esclavage. Oui, sans doute, l’esclavage. Cette funeste institution qui a tant nui au Sud dans le passé et dont les conséquences pèsent encore sur lui, a joué un rôle incontestable dans les événemens qui ont déterminé la sécession, et c’est un ingénieux paradoxe de prétendre, ainsi que j’ai entendu quelques amis du Sud essayer de le faire, que la question de l’esclavage n’a été pour rien dans la guerre. Pour soutenir cette thèse, il faut méconnaître des faits gros comme des maisons. Il faut avoir oublié la violence des procédés contre les choses et contre les hommes auxquels les états du Sud avaient eu recours pour arrêter dans leurs limites la propagande antiesclavagiste, livres brûlés, personnes maltraitées. Il faut avoir oublié qu’après des discussions passionnées dans le congrès à propos de la reconnaissance de l’esclavage dans