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En un mot, tandis qu’on croit faire œuvre pie en France en détruisant la bureaucratie, on s’efforce de la créer en Amérique. Mais l’abus est si fortement enraciné, tant de gens surtout sont intéressés à son maintien qu’il faudra plus d’une génération d’hommes pour en triompher. Le président Garfield s’était cependant attaqué à cet abus avec beaucoup de résolution dans une circonstance qui a eu un grand retentissement aux États-Unis. Il s’agissait de nommer un collecteur de la douane à New-York, une des situations les plus lucratives aux États-Unis et aussi l’une de celles où la stricte probité est le plus désirable. Un sénateur de l’état de New-York, M. Conkling, fort influent dans le parti républicain, avait son candidat; le président avait le sien. Était-il plus ou moins digne de confiance que celui de Conkling? C’est une question secondaire, car il y avait en jeu une des prérogatives du pouvoir exécutif. Le président Garfield tint bon et écarta le candidat de Conkling, qui, furieux, donna sa démission pour se représenter de nouveau, appelant ainsi les électeurs à juger entre le président Garfield et lui. Entre sa démission et le jour de l’élection Garfield est mort assassiné. Mais Conkling n’en a pas moins été battu, et, ce qui est remarquable, battu non point au profit de son concurrent démocrate, ce qui n’eût pas manqué d’arriver chez nous, mais d’un autre candidat républicain favorable à la politique de Garfield. Ce succès posthume remporté par Garfield a bien montré que le pays était avec lui, et ces incidens, que je n’ai connus qu’en arrivant là-bas, m’ont fait mieux comprendre l’immense effet produit par sa mort. Le pays sentait vaguement qu’il avait à sa tête un honnête homme résolu à faire une honnête besogne, et le deuil universel que sa mort a causé est un témoignage incontestable que la majorité de l’opinion est également honnête et saine aux États-Unis.

Le nouveau préside.it, M. Chester Arthur, qui était redevable de sa nomination de vice-président à ses relations notoires avec le général Grant, a dû, en arrivant aussi inopinément au pouvoir, se trouver dans une situation fort embarrassante. En politique n’est pas ingrat qui veut, et il faut pour cela une certaine force de caractère. D’un autre côté, la manifestation du sentiment public à laquelle a donné lieu la mort de Garfield était si claire qu’il n’a pas pu en méconnaître le sens. Le genre de mort du président Garfield, les incidens de son long procès venaient même fournir des argumens aux adversaires du spoils system, car Guiteau était tout simplement un solliciteur aigri. Les perplexités par lesquelles le président Arthur a dû nécessairement passer ont donné lieu à plus d’une caricature. Comme en Amérique, non plus qu’en Angleterre, la caricature n’est pas nécessairement désobligeante pour celui qui est mis en scène,