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s’associer pour traiter, conserver ou vendre certains produits agricoles, plus rarement peut-être pour acheter et employer en commun quelque machine perfectionnée d’un prix trop élevé pour chacun d’eux; mais l’esprit d’association n’ira jamais jusqu’à leur faire abdiquer leur initiative individuelle, les faire renoncer à ce droit absolu du propriétaire seul maître chez lui, qui a plus de prix à leurs yeux que le produit même de la propriété.

Supposât-on d’ailleurs aux propriétaires des sentimens qu’ils n’auront jamais, que l’association appliquée à la culture même du sol présenterait encore d’inextricables difficultés, par suite de l’obligation qui subsisterait toujours de tirer un parti quelconque de l’outillage actuel, des bâtimens, chemins, digues, canaux d’irrigation ou d’égouttage, travaux de toute nature représentant un capital considérable qu’on ne saurait vouloir sacrifier et qui cependant serait plutôt une gêne qu’une ressource réelle pour un système tout différent d’exploitation.

Les diverses branches de notre industrie manufacturière, longtemps en retard chez nous, sont, il est vrai, parvenues à lutter contre la concurrence étrangère et à vivre de leur vie propre en dehors de toute subvention de l’état. Mais elles n’y sont parvenues qu’à la longue, après de pénibles tâtonnemens, de coûteux essais qui, bien souvent, ont ruiné les premiers exploitans avant d’enrichir ceux qui leur ont succédé. Une pareille perspective n’a rien de bien séduisant, et on comprend qu’elle donne à réfléchir aux propriétaires auxquels on voudrait proposer prématurément des réformes trop radicales.

A défaut de l’association directe des propriétaires sur lesquels on ne saurait compter, on pourrait peut-être fonder quelques espérances sur l’extension du fermage permettant à un seul exploitant de grouper un grand nombre de parcelles éparses en une seule exploitation, et de leur appliquer des procédés de culture plus simples que ceux qui sont usités de nos jours. La situation de ces fermiers ne prenant la terre qu’à court bail, gênés dans une foule de détails, resterait toujours très inférieure à celle des grands producteurs américains, et il ne leur serait jamais permis de réaliser les mêmes économies de frais généraux. Prenons par exemple une machine agricole de quelque importance, une batteuse qui, avec son moteur, coûte de 10 à 12,000 francs et peut produire journellement 150 à 200 hectolitres de blé, avec une équipe de douze à quinze bons ouvriers. Il est évident qu’une telle machine ne peut fonctionner dans de bonnes conditions économiques si elle n’est pas utilisée pendant une campagne de deux à trois mois, correspondant à une production de 10 à 12,000 hectolitres de blé au moins. En