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théorie des alluvions artificielles, dont je viens rappeler ici les principes généraux.

Les bonnes terres végétales doivent pour la plupart leur origine à l’action des eaux courantes. En tout cas, les troubles charriés par nos torrens contiennent habituellement les trois grandes composantes du sol végétal : le calcaire marneux et l’argile à l’état de limons en suspension dans la masse du courant, la matière inerte à l’état de sables quartzeux, entraînés par glissement et frottant sur le fond du lit.

La géologie nous apprend que la surface du sol en France se compose pour plus de moitié de terrains sédimentaires, diluviens ou glaciaires, formés par les dépôts de matières minérales charriées par les courans permanens ou accidentels qui, à diverses époques, ont remanié la surface du globe. Toutefois le dépôt de ces élémens minéraux s’est rarement effectué dans les conditions de mélange intime nécessaires pour constituer les terres végétales de premier ordre. — Sur certains points, la dispersion d’un courant diluvien, se produisant à son débouché sur de larges plaines, a amené le dépôt des fragmens minéraux qu’il charrie à l’état de cailloux et galets n’ayant subi qu’une trituration incomplète, constituant ces immenses étendues de plaines caillouteuses dont la Crau de Provence est le type le mieux accentué, mais qui se reproduisent en tant d’autres lieux sous une forme moins caractérisée. D’autres fois les sables et limons ayant été projetés pêle-mêle dans une grande masse d’eau au repos ont subi un phénomène contraire de lévigation qui a dû entraîner les limons à la mer et ne laisser à la surface du sol que les épaisses couches de sable inerte qui, en Gascogne, en Sologne et sur tant d’autres points, constituent d’immenses étendues de terrains impropres à toute culture régulière.

Il est en général assez facile au géologue de déterminer le point de départ originaire des matières minérales dont le dépôt a constitué le sol. Des convulsions géologiques postérieures ont parfois interrompu la continuité de ces formations; mais, pour les plus récentes qui sont précisément les plus nombreuses et les plus étendues, la continuité subsiste le plus souvent, et une ligne de faîte non interrompue rattache les formations des plateaux inférieurs et des vallées d’un même bassin aux gorges de montagne qui leur ont originairement donné naissance. Rien ne paraît dès lors plus naturel, et la théorie des alluvions artificielles n’est pas autre chose que de remonter aux sources primitives pour reconstituer les terrains incomplets ou épuisés au point de vue agricole, en établissant des torrens artificiels qui, partant des montagnes et suivant les pentes naturelles des lignes de faîte, viendront apporter en chaque point du bassin