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L’ARNOLPHE DE MOLIÈRE


I.

Si quelque chose peut sembler inutile en ce monde, où tant de choses et de gens sont inutiles, c’est une étude de plus sur l’École des femmes. Je ne sache guère, en effet, comédie qui en ait inspiré davantage. La première en date, qui est incontestablement la meilleure, aurait bien dû pourtant décourager d’en écrire d’autres. Impossible d’exposer avec plus d’esprit les objections ; impossible d’y répondre avec plus de bon sens. Mais ce feuilleton, qui remonte au 1er juin 1663, avait aux yeux des contemporains un tort considérable, c’était d’être de l’auteur de la pièce, de M. de Molière lui-même.

On trouva outrecuidant qu’un auteur attaqué se défendît en poète comique, c’est-à-dire fit de ses critiques une comédie, et des plus vives. Il plut des réponses et ce fut un beau bruit. Les échos en sont venus jusqu’à nous, fournissant ample tablature à MM. les commentateurs. Puis la noise s’apaisa, le temps passa, et, comme il arrive, à mesure que les mœurs changèrent et que les hommes se renouvelèrent, — si les hommes se renouvellent, — la comédie tant discutée apparut sous des aspects nouveaux qui suscitèrent d’autres critiques.

Quelques-uns de ces aspects eussent été fort inattendus pour Molière, si le sort eût voulu, pour notre bonheur, qu’il eût la vie aussi dure que ses chefs-d’œuvre et qu’il pût lire les appréciations qu’on en fait de notre temps. C’est sur ces aspects-là que je voudrais insister au risque de passer pour un esprit rétrograde et de froisser ce que j’appellerai les préjugés romantiques sur Molière.

Rétrograde ! quand j’étudie le maître, c’est de deux siècles que je voudrais rétrograder, afin de le pouvoir étudier sur le vif. J’ai peine à croire que les grands hommes soient si peu qu’on le