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le charme qui est en elle ! C’est la meilleure de celles qu’a aimées Molière ; c’est le refuge de ses péchés et de ses peines ; si douce et si paisible qu’à son âge elle joue ce rôle au naturel et qu’à soixante ans, quand elle voudra cesser de le jouer, le public refusera d’entendre la Duparc et ira lui-même à grands cris chercher la de Brie pour lui rendre la vraie Agnès...

Son apparition a mis le parterre en joie; celle d’Horace adoucit un peu nos pousseuses de beaux sentimens... C’est Lagrange, un acteur tout noblesse et tout feu ; il est bien fait, avec son air éventé, ses grands cheveux blonds, ses belles dents, ses rubans et ses plumes. On écoute cet étourdi, racontant son bonheur à celui-là même à qui il le vole,.. et l’acte finit dans un brouhaha où l’on sent que la pièce sera un combat et que l’affaire sera chaude.

Dès les premiers mots du second acte, en effet, l’hostilité se dessine ; il y a là un certain potage que les précieuses ne peuvent décidément avaler. Puis c’est la grande scène d’Arnolphe et d’Agnès, et les aveux de l’ignorante ; comment Horace lui prenait les mains et les bras; « comment de ces baisers il n’était jamais las. »


Ne vous a-t-il point pris, Agnès, quelque autre chose?
— Il m’a pris le..


À ce le où s’arrête Agnès, tout émue du ruban qu’elle s’est laissé ravir, chuchotemens, rires, grand claquement d’éventails, qu’agite désespérément la pudeur violée des marquises ; les abbés s’indignent, et il y a sur le théâtre des élégans tout prêts à tomber en syncope. Aussi, l’acte fini, quelle rumeur ! C’est le vicomte qui sort indigné, c’est M. Plapisson qui invective le parterre, c’est M. de Visé, le nouvelliste, portant calotte et rabat, qui voltige de loge en loge, caquetant sur l’obscénité de Molière, dont quelque mousquetaire, qui en rougit, fredonne plus loin la chanson de Lanla derirette,.. et du parterre partent des quolibets adressés aux Climènes, où les laquais et les pages mêlent quelques lardons... Il y a bataille, allons ! mais le peuple est pour Molière, il ne doit pas être inquiet.

Il reparaît, en effet, intrépide, car il n’est point de ces auteurs au faible cœur qui tremblent et se dérobent; il paie de sa personne, il est constamment en scène, entre ces deux rangs de marquis dont il entend les murmures et dont les railleries le couchent en joue ; il porte bravement sa pièce, faisant tête tour à tour aux loges, au théâtre, maître de lui, toujours à son rôle, riant et faisant rire. Aux connaisseurs en courage d’apprécier celui-là!

Ah ! il lui faut de la vaillance, car en ce troisième acte il va soulever