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La vérité éclatante, incontestée et incontestable, que nous voulons rappeler ici, a été bien souvent énoncée. Nous avons pensé qu’il faut l’énoncer encore et en donner une nouvelle démonstration. « La population française ne s’accroît que dans des proportions très faibles. » Par conséquent, la France, croissant en hommes moins vite que l’Angleterre, l’Allemagne, la Russie, les États-Unis, tend à devenir une puissance de second ordre. Il y a là un péril national. A vrai dire, c’est le péril national tout entier. Il n’en existe pas d’autre[1].


I.

Avant d’entrer dans le détail des chiffres lamentables qui mettent en pleine lumière la diminution extrême des naissances françaises, il faut prouver que la puissance et la richesse d’un peuple sont proportionnelles au chiffre de sa population.

Certains économistes ont soutenu le contraire ; mais les raisons qu’ils donnent paraissent insuffisantes. Nous allons d’abord les exposer loyalement, en donnant à l’argumentation toute sa force.

Une nation, dit-on, vaut par la qualité des individus, par la richesse de son sol, par le grand développement de la fortune publique et de la fortune privée, et non par le grand nombre des individus qui la composent.

Voici, par exemple, la Chine avec 400 millions d’habitans, et l’Inde avec 200 millions. Que l’on compare ces deux immenses nations aux plus petits pays de l’Europe qui sont infiniment moins peuplés, comme la Belgique, la Suisse ou la Grèce. Est-ce que les 5 millions de Belges ne pèsent pas dans les destinées du monde civilisé plus que les 400 millions de Chinois ? Si une guerre éclatait entre la Chine et la Belgique, l’issue n’en serait pas douteuse. Par la supériorité de leur armement, de leurs finances, par la valeur et l’intelligence supérieure des officiers comme des soldats, la petite armée belge écraserait sans doute l’immense masse d’hommes armés que pourrait mettre en ligne le Céleste-Empire. L’industrie et le commerce de la Belgique s’étendent dans le monde entier : ses livres, ses œuvres d’art, son histoire tiennent un rang important dans la littérature, l’art et l’histoire du monde. L’Inde nous fournit encore un meilleur exemple de l’impuissance, soit matérielle, soit morale dans laquelle se trouvent parfois des populations très nombreuses.

  1. Le Péril national : tel est le titre d’un livre intéressant et patriotique que M. Raoul Frary a fait paraître l’année dernière. Cet écrivain distingué admet, et à tort, suivant nous, qu’il existe des causes diverses et multiples à la soi-disant décadence de la France. Nous croyons, au contraire, que le seul danger qui nous menace, c’est la diminution croissante de notre natalité.