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Donc, au bout d’un certain nombre d’années, alors que la famille peu nombreuse produit peu, la famille nombreuse produit beaucoup. Alors que les enfans sont tout petits, et hors d’état de travailler, les familles nombreuses sont dans la gêne. Mais quand les années ont permis à chacun de ces consommateurs de devenir à son tour un producteur, la famille devient plus riche, et le revenu annuel total plus considérable.

Il est vrai que, simultanément, les dépenses augmentent. Mais, dans un pays industriel et agricole comme la France, où il y a tant d’intelligence et tant d’amour du travail, un individu adulte produit annuellement plus qu’il ne dépense. Si la France mettait au jour tous les ans cent mille enfans de plus, les dépenses s’accroîtraient de 2 milliards peut-être, mais les revenus croîtraient en proportion plus grande encore, et, au bout de quelques années, on pourrait constater un bénéfice annuel considérable.

Il est possible, dans l’Inde ou dans la Chine, que, par suite de la paresse ou de l’ignorance des habitans, le travail d’un être humain soit quelque peu inférieur à la dépense que l’entretien de sa vie nécessite. Mais en France, heureusement, il n’en est pas de même, et l’ouvrier français, comme le paysan français, produisent certainement plus qu’ils ne consomment. Ainsi, au point de vue de la prospérité totale de la France, il y aurait un très grand intérêt pour notre pays à posséder une population nombreuse ; car, plus elle sera nombreuse, plus sera considérable l’écart entre la recette et la dépense.

Il est vrai que l’individu, considéré isolément, est plus riche dans la famille peu nombreuse que dans la famille nombreuse, à supposer que l’une et l’autre famille aient des revenus identiques. En effet, le fils unique héritera de l’argent que ses parens ont pu économiser, alors qu’aucune économie n’a pu être réalisée dans l’autre famille, dont les dépenses ont été chaque année extrêmement lourdes.

Ainsi, à un examen superficiel, on pourrait croire que la richesse des individus diminue, en même temps que la richesse de la nation augmente. Par suite d’un étrange contraste entre la fortune privée et la fortune publique, les peuples produisant et se reproduisant le plus seraient ceux où la misère serait plus grande, et les citoyens plus malheureux. En réalité, il n’en est pas ainsi; car une étroite solidarité rattache les uns aux autres tous les individus dont l’ensemble compose une nation.

Le premier lien qui unit entre eux tous les citoyens d’un grand pays, c’est celui d’une protection mutuelle et d’une commune défense. Il ne faut pas affecter de faire fi de la force des armes; car la richesse et la prospérité d’un peuple ne sont vraiment complètes