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ciers de l’armée, M. le général Du Barail, celui que le vieux Changarnier appelait un jour, en pleine assemblée nationale, le « vaillant entraîneur d’escadrons. » Chose étrange ! on aurait osé donner un commandement de cavalerie à un des plus brillans officiers de cavalerie de l’armée française, et, à en croire les notes officieuses, M. le ministre de la guerre se croirait, ni plus ni moins, obligé de s’excuser d’avoir eu une telle pensée. Admettre des hommes capables, sérieux, éprouvés, à servir l’état, c’est presque trahir la république, et comme la république n’a pas brillé jusqu’ici par les talens qu’elle a formés ou qu’elle a reçus en héritage du passé, il s’ensuit qu’elle court souvent le risque d’être singulièrement servie ou représentée. Ces républicains exclusifs d’aujourd’hui ont d’ailleurs une supériorité sur les républicains d’autrefois. Ils ont le sens pratique. Ils ne dédaignent pas les parties solides du pouvoir. Ils ont la vocation des emplois, grands ou petits, et des droits sur le budget. Ils savent très bien se servir des ressources de l’état, sans craindre de multiplier les dépenses publiques, parfois sans doute pour des intérêts sérieux, souvent aussi pour des intérêts d’un ordre assez subalterne, tout local ou tout personnel. C’est un moyen d’assurer leur domination. Les députés eux-mêmes ne négligent pas de s’occuper de leurs propres affaires, et, n’en doutez pas, cette question de l’augmentation du traitement parlementaire, qui a suivi de si près le vote du voyage gratuit sur les chemins de fer, cette question n’est pas tombée dans l’oubli, elle reparaîtra. Il faut une liste civile digne des représentans de la nation ! Or ces dépenses nouvelles qu’on inscrit avec tant de légèreté ou tant d’âpreté au budget, c’est la France qui les paie en définitive, et il reste à savoir si c’est là aussi une de ces choses urgentes que le pays demande.

Quoi donc ! direz-vous, quand on a la majorité, la « suprématie du nombre, » comme disait l’autre jour M. le ministre de l’intérieur, quand on a le pouvoir, est-ce qu’on ne dispose pas souverainement de tout ? Est-ce qu’on n’a pas le droit d’exclure ses adversaires et de donner satisfaction à ses amis, de se servir des armes de gouvernement pour réaliser ses idées dans les écoles comme partout, de distribuer des chemins de fer aux arrondissemens républicains, de réserver les secours de l’état, ainsi que le proposait M. Paul Bert, aux églises des communes bien pensantes ? Soit ; les maîtres du jour qui se livrent à ces singulières inspirations ne s’aperçoivent pas seulement que par leurs passions ou leurs calculs de parti, par leurs abus d’autorité dans un intérêt de domination, par quelques-uns de leurs actes, ils déprissent souvent tout ce qu’ont fait des gouvernemens qui n’ont jamais été considérés comme scrupuleux. Ils se permettent ce que ne se sont pas permis les gouvernemens les plus personnels, les plus décriés, et, au bout du compte, en abusant de tout, ils ne fondent rien, ils n’arrivent qu’à préparer leur propre déconsidération. Ils provoquent eux-mêmes