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dance des juges a besoin d’être garantie par l’inamovibilité. Voilà le progrès tel qu’on l’entend. Le nouveau ministère, lui aussi, a tenu à se montrer réformateur ; il y a mis de la bonne volonté, il a voulu tout au moins avoir l’air de faire quelque chose et il s’est hâté de présenter doux bouts de loi, deux articles sur des détails de l’organisation municipale. Un de ces articles rend aux villes et aux cantons le droit de nommer leurs maires. Nous le voulons bien, — à la condition qu’un ministère républicain repentant ne vienne pas redemander avant peu ce droit de nomination que le gouvernement vient d’abandonner. L’autre article supprime pour les conseils municipaux l’obligation de consulter « les plus imposés » dans certaines circonstances, sur certaines questions d’emprunts et d’impôts extraordinaires. C’est une tradition vieille de soixante ans qui n’avait certes rien que d’équitable et de simple. Vainement M. Bocher, dans un substantiel et lumineux discours, a démontré devant le sénat ce qu’il y avait de juste, d’utile dans ce concours des « plus imposés ; » il paraît que ce n’était pas démocratique, conforme à la doctrine de « suprématie du nombre ; » M. le ministre de l’intérieur l’a du moins assuré, et le gouvernement a eu sa loi, il a eu ses deux bouts de loi. Que signifient cependant ces réformes ? Quel intérêt y avait-il à les voter avec précipitation ? Remarquez qu’il y a un projet de réorganisation municipale déjà préparé. Où était la nécessité de détacher deux articles partiels, deux dispositions qui ne peuvent a voir tout leur sens que dans l’ensemble d’une loi ? C’est mal heureusement le procédé en usage aujourd’hui. On fait tout d’une façon décousue. On a voté, il y a quelque temps, le rétablissement de la mairie centrale de Lyon. Demain, puisque le conseil municipal le désire, on votera sans doute le rétablissement de la mairie centrale de Paris. Hier on supprimait l’adjonction des « plus imposés » dans les délibérations municipales en même temps qu’on rendait aux villes le droit de nommer leurs maires, et c’est ainsi, un sénateur, M. Poriquet, l’a dit justement, c’est ainsi qu’on finit par « avoir des lois faites de pièces et de morceaux, sans cohésion, sans unité, sans esprit de suite et d’ensemble. » Franchement il faut avoir de la bonne volonté et de l’imagination ou beaucoup de complaisance pour voir dans tout cela des réformes, des merveilles de progrès à célébrer par des discours et des circulaires.

La vie européenne offre bien des phénomènes extraordinaires de tout genre, et un des plus extraordinaires, un des plus curieux de ces phénomènes est certainement ce qui se passe en Russie, dans ce vaste empire où, sous une apparente immobilité, tout est agitation et lutte. S’il y a une puissance embarrassée, obscurément travaillée, c’est bien cette Russie qui se débat depuis quelques années entre des ardeurs d’ambition nationale dont elle a de la peine à se défendre et des troubles intérieurs qui la paralysent, entre les rêves de panslavisme et