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comme transfigurées devant lui, et il n’est pas jusqu’à ce petit paysan qui, avec sa toque et son pourpoint rougeâtres, ne prenne devant ses yeux je ne sais quelle grâce naturelle que, si amusans qu’ils soient, les balourds et les rustauds de ses tavernes ne nous feront jamais oublier. Une seule chose nous étonne, c’est qu’après avoir mené sa palette à pareille fête, Brauwer n’y soit pas retourné plus souvent, et qu’il n’ait qu’à de trop rares intervalles renouvelé les échappées buissonnières d’où il pouvait rapporter pareils chefs-d’œuvre. Et quel regret aussi qu’un tel bijou acheté à Paris en 1878, pour un prix très modéré, nous a-t-on dit, ne soit pas entré au Louvre, où il eût tenu si dignement sa place, et montré quel fin paysagiste était ce peintre de cabarets !

Hals, le maître de Brauwer, n’a pas ici moins de onze portraits. Si vous ne trouvez pas dans cet ensemble une de ces œuvres hors ligne, telles qu’en possède le musée de Harlem, toutes du moins sont instructives, et miniatures ou portraits de grandeur naturelle, tableaux posément peints ou simples pochades bâclées à la diable, fourniraient ample matière à l’étude de ce talent dont la souplesse égale l’entrain. Toujours expéditif et ne laissant point à ses modèles le temps de s’ennuyer ; toujours large, même quand dans les proportions les plus minimes il se propose d’atteindre l’expression de la vie dans ce qu’elle a de plus intime. Hals nous a laissé des images fidèles de personnages très divers. A côté d’une fillette de noble maison, voici un ménage d’honnêtes bourgeois, puis un élégant cavalier, et un prédicateur célèbre de ce temps, Jean Acronius ; enfin Hille Bobbe, la vieille sorcière de Harlem, dont la face bestiale, enlaidie d’un vilain rire et brossée en quelques minutes par l’artiste, est désormais assurée d’arriver à la postérité tout aussi sûrement que le visage austère de notre Descartes.

Comme Brauwer, Hals appartient presque aussi bien à la Hollande qu’à la Flandre, et en passant avec eux de l’une à l’autre école, la transition est à peine sensible. Jusqu’à cette date d’ailleurs, entre les deux les différences sont moins tranchées qu’on ne les a faites, et longtemps leurs limites restent indécises. On y remarque comme des pénétrations mutuelles, qu’expliquent assez une origine commune et des rapports de voisinage naturellement étroits. Certes, à les prendre à leur sommet, dans Rubens et Rembrandt, ces analogies ont cessé et les dissemblances s’accusent alors profondément ; mais à côté de ces deux noms, combien d’autres pourraient prêter à des rapprochemens ? Breughel, Teniers, Brauwer, ne paraissent-ils pas aussi hollandais que flamands ? Avec eux, Cornélis de Vos et G. Coques lui-même ne nous offriraient-ils pas à Berlin des portraits qui semblent se rattacher à cette consciencieuse école de Mirevelt, des Morelze, des Ravestejn et des J. G. Cuyp, tous