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l’autre tableau dans lequel une apparition de saint François au milieu des religieux de son ordre est naïvement accompagnée de l’inscription : Pax vobis. Témoins du miracle, les frères l’accueillent avec respect et semblent protester de leur déférence à la volonté du saint. Un seul d’entre eux, ayant peut-être quelque infraction plus grave à se reprocher, se détourne et cache son visage entre ses mains, comme s’il ne pouvait soutenir la vue de la leçon qui le condamne.

C’est ainsi qu’étranger par sa nature à tout sentiment de haine, le bon dominicain consacrait son talent à prêcher entre les serviteurs de Dieu l’esprit de support et de concorde. L’église, de son côté, jalouse de justifier son influence par toutes les supériorités, encourageait en ce temps ces vocations d’artistes, qui, en moins d’un siècle, et dans le seul ordre de Saint-Dominique, comptent avec Angelico de Fiésole et frà Bartolommeo plusieurs autres peintres remarquables. Elle avait alors assez de vie pour ne pas craindre de l’épancher dans toutes les nobles directions de l’activité humaine. Non contente de laisser des religieux s’adonner à la pratique des arts, elle leur accordait la plus large tolérance. Avec la hardiesse inconsciente d’une franchise qui ose tout dire, Angelico de Fiésole, peignant le Jugement dernier, ne se privait pas de mettre parmi les réprouvés des moines, des évêques et même des papes, en attendant qu’un autre dominicain fît passer ces audaces dans ses prédications et payât de sa vie les courageuses invectives dont il poursuivait les vices et les désordres de la société de son temps. Mais l’originalité de frà Beato est toute personnelle ; c’est celle de son âme elle-même, et il ne faut pas moins que la force des sentimens dont elle est remplie pour se contenter des procédés élémentaires auxquels il a recours. La simplicité de sa pratique est, en effet, extrême. Loin de chercher à l’améliorer, il s’en tient aux traditions des miniaturistes et s’accommode pour l’expression de sa pensée de leurs couleurs transparentes et pures. La vérité des attitudes, l’ajustement des draperies et surtout la noblesse des physionomies sont chez lui en progrès manifeste sur ce qui se faisait alors en Italie, mais qu’il y a loin de là cependant à la puissance des colorations, à l’énergie du dessin, à la riche variété des ressources techniques que, vers la même époque, les Van Eyck venaient déjà d’introduire dans l’art !

Longtemps encore, d’ailleurs, la peinture en Italie allait rester dans un état d’infériorité marquée vis-à-vis de la sculpture. Il semble pourtant que celle-ci lui. montrât clairement les voies qui l’avaient conduite à l’émancipation en lui recommandant cette étude attentive de la nature à laquelle elle devait déjà de nombreux chefs-d’œuvre. Mais c’était inutilement que jusque-là les peintres avaient