Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 51.djvu/134

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne lui ont pas été épargnés. On croirait, au contraire, que la fatalité s’est acharnée contre lui, et, par une bizarre coïncidence, c’est en France, au XVIIIe siècle, et par le fils même du régent, que lui ont été infligées les plus cruelles mutilations. Il est vrai que le coupable était ce duc d’Orléans, qui, sans doute pour expier les déportemens de son père, passait sa vie dans les pratiques de la piété la plus austère. Par son ordre, la toile fut découpée en morceaux et la tête de Léda, jugée probablement trop expressive, fut même détruite. Pour comble de disgrâce, après que Ch. Coypel eut de son mieux reconstitué l’œuvre dans son intégrité, des restaurations successives ont encore depuis ajouté leurs dommages à tant de détériorations, et c’est tout au plus si dans quelques figures un peu moins maltraitées on peut aujourd’hui retrouver la trace de l’excellence du travail primitif.

L’école lombarde, à laquelle Corrège a dû quelque chose de sa grâce, est à peine représentée. A défaut de Léonard, contentons-nous de signaler une Madone, de Luini, malheureusement fort dégradée, et une Vierge glorieuse, de Borgognone, qui ont le charme de douceur et de suavité particulier à ces deux artistes. En revanche, ce n’est ni par la grâce, ni par la recherche de la beauté féminine que brillent d’ordinaire les productions de l’école de Padoue. Squarcione, le vrai fondateur de cette école, est un dessinateur d’une extrême rudesse et un de ses élèves, Marco Zoppo, Bolonais de naissance, a encore trouvé moyen de renchérir sur la laideur de ses types. Les saints grimaçans et farouches, dont il a entouré sa Vierge, sont des personnages tout à fait grotesques. Un autre élève de Squarcione, et de beaucoup le plus grand artiste de cette école, Mantegna, n’est pas non plus sans quelque sécheresse et quelque dureté. On reconnaît le graveur dans ce contour précis, incisif et rigide où il enferme ses figures : mais c’est un esprit merveilleusement actif, curieux, avide de s’instruire, et le peintre, chez lui, est doublé d’un savant. La perspective et le culte de l’antiquité ne le détournent cependant pas de l’étude de la nature, qu’il interprète avec un style puissant et sévère. Sans être de premier ordre, ses tableaux du musée de Berlin offrent de l’intérêt et dans sa Présentation au temple, à côté d’un Saint Joseph de mine fort rébarbative, il convient d’admirer une figure de Vierge d’une expression charmante, assez rare chez Mantegna, dont le talent est plus capable de force que de grâce.

L’éclat de ces écoles locales ne tient souvent, on le voit, qu’à un seul homme. Elles n’ont eu jusqu’à lui, ou elles n’auront après lui qu’une vie intermittente, un caractère incertain et une importance secondaire. Seule, l’école de Venise, par sa durée, son originalité, par le nombre et la valeur de ses artistes, peut soutenir la