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LA PASTORALE DANS THÉOCRITE.

cipaux paraissent résumés par Diodore. Dans la plus charmante vallée des monts Héréens qui formaient la partie la plus douce et la plus fertile de l’Etna, au milieu des bois et des sources, était né, d’Hermès et d’une nymphe, Daphnis, ainsi nommé des lauriers (Daphné, en grec) qui remplissaient ces lieux de leurs fleurs odorantes et de leur fraîche végétation. Élevé par les nymphes auxquelles la vallée était consacrée, ou bien il y faisait paître ses riches troupeaux de bœufs, ou bien, dans les solitudes sauvages, il suivait les chasses d’Artémis, charmant la déesse par les sons de sa syrinx et par ses chants. Sa merveilleuse beauté lui gagna l’amour d’une nymphe, qui lui prédit que, s’il la trahissait, il perdrait la vue. Malgré la pureté de ses intentions, il ne put échapper à cette destinée. La fille d’un roi l’enivra et triompha de sa constance. Puni de cette faute involontaire, il errait aveugle et désolé dans la montagne. Une tradition, inconnue de Diodore ou négligée par lui, le fait même périr en tombant dans un précipice.

À première vue, cette légende paraît composée de deux élémens : elle contient d’abord une mythologie gracieuse et naturelle qui s’est formée d’elle-même d’après les impressions inhérentes à la conception primitive d’un héros de la vie pastorale dans les montagnes de la Sicile. À ce fond semble être venu s’adapter un conte romanesque. L’amour jaloux de la nymphe, la fille du roi et sa ruse, la punition et le désespoir de Daphnis paraissent des additions postérieures, inventées pour satisfaire des besoins d’imagination d’un ordre différent. Et si l’on songe que Diodore écrivait deux siècles après Théocrite, on est tenté d’assigner une date assez moderne à la seconde moitié du récit. Ce serait une erreur. Non-seulement il est très possible que la cécité de Daphnis, ses plaintes désespérées et même sa mort fassent partie des premiers développemens de la légende, mais on ne peut guère refuser une origine ancienne au petit roman d’amour qui amène ces malheurs, puisque d’un côté un témoignage le fait remonter jusqu’à Stésichore, et que, de l’autre, il était reproduit par un contemporain de Théocrite, l’historien sicilien Timée. Nous avons remarqué qu’un goût de romanesque amoureux avait paru dès le temps de Stésichore, c’est-à-dire vers la fin du viie siècle avant Jésus-Christ. C’est probablement alors que prit naissance pour les lettrés le roman de Daphnis, dont l’existence était ainsi depuis longtemps consacrée à la date de Théocrite.

Il s’était même développé dans des sens divers. Un autre contemporain de Théocrite, Sosithée de Syracuse, avait pris pour sujet d’un drame satirique une aventure qui mettait Daphnis en rapport avec le Phrygien Lityersès, le roi moissonneur qui contraignait ses hôtes à lutter avec lui d’habileté dans ses vastes champs et leur coupait la tête après les avoir vaincus. Le berger sicilien, cherchant