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d’Autriche, vient de passer quelques jours auprès de l’empereur d’Allemagne à Wiesbaden. Il n’est pas moins certain que, pendant quelque temps, il y a eu des préoccupations assez vives à Vienne et à Berlin, qu’on s’est ému de ce qui se passait dans le monde russe, des intempérances belliqueuses du général Skobelef contre l’Allemagne ou en faveur des insurgés du sud, de toutes ces démonstrations panslavistes auxquelles on soupçonnait le cabinet de Saint-Pétersbourg ou, si l’on veut, le général Ignatief, de n’être pas défavorable.

Jusqu’à quel point ces craintes ou ces soupçons étaient-ils justifiés ? C’est vraiment une question aussi délicate que difficile à préciser. Qu’il y ait eu dans certaines régions du monde russe des intentions plus ou moins menaçantes, qu’il y ait eu notamment la pensée de recommencer avec l’insurrection de l’Herzégovine le jeu qu’on a joué il y a quelques années avec la Serbie et le Monténégro, c’est dans tous les cas ce qui a été soupçonné dans les chancelleries. Les chefs du mouvement panslaviste en Russie auraient cru, dit-on, le moment venu d’engager l’action, d’arrêter l’expansion de l’Autriche en Orient. Il y avait seulement une difficulté qui ne leur avait pas échappé, qu’ils espéraient tourner ou éluder. Ils croyaient savoir que, d’après les arrangemens très intimes qui existent depuis quelques années entre l’Allemagne et l’Autriche, chacune des deux puissances ne peut compter sur le concours de l’autre puissance que dans le cas où elle serait attaquée. Dès lors, ils se flattaient de désarmer ou de neutraliser l’Allemagne en créant une situation telle que l’Autriche, poussée à bout, se verrait contrainte de prendre elle-même l’initiative de l’action contre la Russie. Le plan pouvait paraître habile, il n’était que spécieux. M. de Bismarck, toujours très attentif à suivre la marche des événemens et fort en éveil vis-à-vis de la Russie, n’aurait pas tardé à démêler ce qui se passait, à pénétrer la combinaison, et il aurait agi en conséquence. Le chancelier allemand aurait, dit-on, fait savoir à Saint-Pétersbourg qu’il ne se méprenait pas, qu’en tout état de cause, s’il y avait lutte, il tiendrait l’Autriche pour attaquée et l’Allemagne pour obligée à l’action. Sous quelle forme M. de Bismarck aurait-il dit cela ? Peu importe ; il a sûrement parlé de façon être entendu, et il a été entendu en effet.

Ce qui n’est point douteux, c’est qu’à partir d’un certain instant, le mouvement qui ne laissait pas d’inquiéter à Vienne et à Berlin a paru enrayé. Un changement assez sensible s’est accompli à Saint-Pétersbourg. La nomination de M. de Giers au poste de ministre des affaires étrangères, sans avoir précisément rien d’extraordinaire, a pu passer pour un des signes de cette évolution ou, si l’on veut, de cette halte dans les propagandes belliqueuses. Toute intention de secourir ou d’encourager les insurgés de l’Herzégovine a été désavouée. Le représentant russe à Belgrade, M. Persiani, qui s’est prononcé dans le sens panslaviste, contre l’Autriche, a été appelé à Pétersbourg, ne fût-ce