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ne sont point les zemstvos, ce ne sont pas les assemblées électives des provinces ou des villes qui serviront d’organe ou d’instrumens à la révolution. Sous ce rapport, l’attitude des corps élus est constamment demeurée irréprochable. Loin de se complaire à une opposition systématique ou à des taquineries déplacées, loin de provoquer des conflits d’aucune sorte, les états provinciaux, comme les municipalités, n’ont cessé de montrer vis-à-vis de l’administration et des fonctionnaires une prudence, une circonspection, une retenue singulière. S’il y a eu excès, l’excès a été plutôt dans le sens de la soumission, de la docilité, de l’obséquiosité. En aucun pays, à aucune époque, des assemblées élues ne se sont aussi généralement, aussi patiemment appliquées à ne point porter ombrage au pouvoir et à ses agens. Par là ces nouvelles institutions n’ont cessé de mériter la confiance du souverain. Si l’esprit révolutionnaire a fait en Russie d’incontestables ravages, ce n’est point dans les assemblées électives qu’il a son siège et qu’il se propage ; c’est dans des réunions d’hommes sans mandat, dans des sociétés secrètes, dans des conciliabules occultes qui, sur les jeunes têtes et les imaginations exaltées, ont d’autant plus de prestige que les assemblées régulièrement élues ont moins d’autorité. En Russie, plus que partout ailleurs peut-être, la meilleure arme contre l’esprit révolutionnaire serait l’esprit libéral. Veut-on dégoûter la jeunesse et les âmes honnêtes des trames ténébreuses et des agitations souterraines, que l’on permette aux hommes épris du bien public de s’y consacrer au grand jour sans crainte et sans entrave.

Pour l’empire du Nord, les libertés provinciales sont aujourd’hui un besoin physique autant qu’un besoin moral, une nécessité économique non moins qu’une convenance politique. Si la centralisation a créé l’état russe, la décentralisation et le self-government local peuvent seuls le faire vivre, le développer matériellement et moralement, lui permettre de faire valoir ses ressources naturelles, de porter sa richesse et sa civilisation au niveau de sa grandeur territoriale. Les dimensions même de l’état, la variété des populations qui y sont renfermées, les différences du sol et du mode de tenure de la terre, y rendent le règne de la bureaucratie centraliste plus intolérable et plus stérile que dans des états moins étendus, à population plus dense et plus également répartie. Dans un pareil empire, il est souvent malaisé de légiférer à la fois pour toutes les provinces, impossible de leur appliquera toutes les mêmes règles ; quelle que soit la complexité de ses lois et règlemens, le pouvoir central ne saurait prévoir toutes les exceptions et se conformer partout aux besoins locaux. Au lieu de surcharger le code de l’empire d’innombrables dispositions et distinctions, souvent mal appropriées aux localités et aux faits, le législateur devrait laisser une certaine