Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 51.djvu/54

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Et tout en disant : « Rien... rien... » elle attachait sur Anne-Marie un regard qui contenait une terrible interrogation.

— Je t’en supplie, ma chérie, continua Mme Kersaint, en baissant la voix, aie confiance en moi, ne me cache rien... Est-ce que je ne connais pas tous tes secrets?

Mais Diane se taisait toujours. Elle balbutia :

— Tu savais... tu savais...

Puis ce fut tout. Et elle ne détournait pas la tête, et elle continuait à la contempler avec ses yeux, agrandis par la fièvre, où luisait la flamme sombre d’un immense désespoir.

— Tu savais... tu savais... murmura-t-elle encore.

Mme Kersaint ne comprenait pas le doux et cruel reproche renfermé en ces deux mots.

« Tu savais!... Et tu ne m’as pas avertie, et tu m’as laissée accomplir cette union infâme, et tu as brisé ma vie sans retour! Pourquoi n’ai-je pas tout entendu, naguère, dans le salon ? Pourquoi M. de Morère n’a-t-il pas prononcé une phrase qui m’apprît la vérité? Je ne peux plus avoir que du dégoût pour ce misérable. Tu savais me vouer à un éternel veuvage, et pas un mot n’est sorti de ta bouche pour m’éclairer ! Tu ne m’as pas montré le précipice où je courais en souriant ! Tu savais l’ignominie de ce mariage, et le monde la savait avec toi, et nul n’a eu pitié de moi ! »

Les yeux de Diane devenaient moins fixes à mesure que ces idées traversaient son cerveau, aiguës comme de fines lames rougies. Elle se soulevait à moitié pour se pencher vers Anne-Marie ; mais ses forces l’abandonnèrent, et sa jolie tête pâle retomba sur l’oreiller. Cependant Mme de Morère et le marquis, épouvantés, se décidèrent à paraître.

— Votre femme est malade, dit M. de Morère à Fabien. Allez auprès d’elle.

Il entra dans la chambre, mais en sortit bientôt : il partait pour Le Tréport afin de chercher un médecin. Catherine eut plus de courage; elle ne pouvait alléguer aucune raison, elle, pour fuir la chambre à coucher de sa fille. Elle y pénétra, toute tremblante, se demandant avec terreur ce que Diane lui dirait quand elle serait face à face avec elle. La malheureuse dormait, ou plutôt elle subissait l’assoupissement lourd qui accompagne les grosses fièvres. Aux pommettes des joues la rougeur augmentait ; elle avait le souffle rapide et court ; son pouls battait cent trente pulsations. Par momens, elle s’agitait dans son lit et remuait les mains avec angoisse comme pour chasser loin d’elle une épouvantable apparition. Le médecin l’examina sans qu’elle sortît de sa torpeur.

— Je ne peux rien préciser encore, dit-il après un silence. Il faut attendre. La fièvre augmentera cette nuit ; probablement, il y aura plusieurs accès de délire.