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la Sublime-Porte. Elle n’a commencé à se réveiller, à reprendre un caractère sérieux qu’il y a un peu plus d’un an, par cette insurrection militaire qui a fait d’un soldat ambitieux, d’Arabi-Bey, une sorte de dictateur, et qui a été le préliminaire d’une subversion complète de la vice-royauté. La sédition soldatesque du 1er février 1881 n’a pas tardé à se renouveler et est devenue rapidement une révolution qui a menacé l’ordre de choses établi en Égypte, qui a même affecté un caractère sensible d’hostilité contre l’Europe. En présence d’événemens révolutionnaires qui tendaient à mettre en question tout ce qui existe, les engagemens internationaux aussi bien que l’autorité du khédive, la France et l’Angleterre ne pouvaient évidemment rester indifférentes. L’Angleterre, comme maîtresse de l’Inde, est intéressée à tout ce qui se passe dans la vallée du Nil. La France, comme maîtresse du nord de l’Afrique et maintenant de la Tunisie, est intéressée à ne pas laisser s’établir un foyer d’anarchie ou d’hostilité dans cette région méditerranéenne du monde musulman. La France et l’Angleterre ne sont pas seulement engagées par des intérêts généraux, elles sont liées par toute leur politique, par des traditions d’influence et de protectorat, par leur participation à l’avènement du khédive actuel Tewfik-Pacha, par le contrôle financier qu’elles exercent en commun à Alexandrie.

Tout devait donc réunir les deux puissances qui ont été autrefois des rivales passionnées dans ces contrées du Nil, qui depuis longtemps se sont fait des habitudes d’action commune, qui ont fini par reconnaître qu’elles avaient le même intérêt à sauvegarder l’indépendance égyptienne. Voilà des années qu’en principe elles sont d’intelligence. Jusqu’à quel point cependant l’entente a-t-elle été sérieuse et efficace dans la phase récente des affaires égyptiennes ? C’est là ce qu’on pourrait appeler l’histoire des désillusions de l’alliance anglo-française, histoire écrite tout au long dans les documens britanniques qui viennent d’être publiés. A la lumière de ces documens, on peut dire que l’entente n’est pas allée au-delà d’une certaine limite. Elle s’est manifestée, il est vrai, par des notes identiques, par des démarches amicalement concertées, par l’envoi de quelques navires dans les eaux d’Alexandrie, où ils peuvent certes plus que jamais être utiles. À Londres et à Paris, on a jugé les événemens de la même manière, on a vu du même œil les dangers, on a senti également la nécessité de se mettre en garde contre des complications qui pouvaient porter atteinte aux intérêts européens, aux droits reconnus des deux puissances, au contrôle financier qu’elles exercent depuis quelques années. En définitive, l’accord est toujours plus apparent que réel ; les intentions de bonne intelligence ne vont pas jusqu’à se traduire en un système d’action précisent décisive, elles s’arrêtent en chemin !