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parts accourent de nouveaux bataillons. Alexandre lui-même s’est porté de sa personne sur les lieux ; il arrive pour assister à la fuite des barbares. Cinq cents sont restés sur le terrain ; les autres, épouvantés, regagnent précipitamment la ville.

On pouvait se promettre un meilleur résultat de cette surprise : la sortie était repoussée ; il n’en fallait pas moins se résigner à toutes les lenteurs d’un siège. Porus, heureusement, venait de rejoindre l’armée avec cinq mille Indiens et tous les éléphans qu’il avait pu rassembler. Le soin de l’investissement fut laissé à Porus, et les Macédoniens se trouvèrent tous disponibles pour l’assaut. Alexandre donne l’ordre de faire approcher les machines ; une brèche est pratiquée dans le rempart de briques ; sur d’autres points les échelles se dressent : en quelques minutes, la ville est au pouvoir d’une soldatesque furieuse. Le sac de Sangala doit être rangé au nombre des exécutions les plus sanglantes d’Alexandre : dix-sept mille Indiens y périrent, soixante-dix mille furent faits prisonniers. Les pertes essuyées par le vainqueur justifiaient-elles cette rigueur extrême ? Cent hommes à peine, depuis le commencement du siège, avaient été frappés mortellement. Les blessés, il est vrai, étaient infiniment plus nombreux ; on en évalue le chiffre à douze cents. Plusieurs chefs de corps, Lysimaque entre autres, un des somatophylaques, furent atteints par les traits de l’ennemi. En laissant un libre cours à l’ivresse sanguinaire de ses troupes, Alexandre ne semble avoir eu d’autre motif avouable que le prétexte si souvent invoqué de la nécessité de faire un exemple. Quand les historiens de l’antiquité ont prononcé ce grand mot, ils s’inclinent, et fît-on comme César, couper les mains à tous les défenseurs de quelque oppidum héroïque, on n’aura guère à redouter leur jugement. La pitié, dans ces temps féroces, ne s’émeut qu’en faveur des Grecs ou des Romains ; elle ne fut jamais faite pour les barbares.

Sangala fut rasée et le pays d’alentour dévasté. Les Indiens, frappés de terreur, s’empressaient d’abandonner leurs villes ; Alexandre crut devoir livrer toutes ces cités veuves de leurs habitans au pillage. Quand Porus fut préposé à la garde de cette province qu’Alexandre adjoignit à ses possessions, il n’eut à occuper que des ruines. Il est permis de supposer que le fils de Philippe se fût montré moins impitoyable si la situation de l’armée macédonienne eût été moins critique. Beaucoup de soldats avaient péri depuis le jour où l’on s’était transporté sur la rive gauche de l’Indus ; les sabots des chevaux étaient usés et, pendant que la rouille rongeait le fer des lances, les vieux uniformes tombaient en lambeaux. Pendant soixante-dix jours, il n’avait cessé de tomber des torrens de pluie accompagnés d’éclairs et du sinistre grondement