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du gentil neveu que Madeleine avait couvé vingt ans dans ses jupes avec une jalousie de mère.

Il avait commencé par la suivre sur ses quatre pattes roses, car il ne marchait pas encore quand elle l’introduisit dans la maison. A trois ans, il faisait déjà les commissions, trottinant sans cesse de l’imprimerie au bureau du patron. Plus tard, on lui apprit à composer. Enfin aujourd’hui, il servait de prote et de correcteur. Madeleine exigeait depuis quelques années qu’on l’employât beaucoup : elle avait son idée.

L’idée de Madeleine, c’était qu’Angelo restât sage. La gouvernante de M. Barbarin possédait sur la sagesse tout un assortiment de préjugés féroces qu’elle déballait à tout propos et hors de propos souvent :

— Toi, dit-elle à Angelo au premier duvet qu’elle lui vit pousser sous le nez, si tu t’avises de courir les filles, je te tordrai le cou.

C’était catégorique, et Angelo ne prit pas du tout l’avertissement pour une métaphore. Dieu aidant, il demeura sage comme un petit saint dans sa niche. Seulement, comme il n’était pas de marbre, ainsi que les bienheureux, sa tête et son cœur prirent l’envolée vers les doux pays du rêve charmant où il lui était interdit de mettre le pied.

Tante Madeleine n’y vit que du bleu, car le jeune garçon, hypocrite comme une demoiselle bien élevée, n’en baissait que de plus belle ses longues paupières chastes sur ses yeux candides. Cependant la gouvernante veillait. Chaque matin, lorsqu’Angelo quittait sa chambrette, toute propre et gaie sous les toits, avec une fenêtre donnant sur la cour, Madeleine arrivait fureter, fouillant dans les poches, scrutant les goussets, comptant la monnaie. Une fois, elle trouva un bouquet de violettes desséchées et elle en fut malade pendant huit jours. Pendant huit jours, Angelo resta à l’imprimerie, sans bouger, et tante Madeleine le bouscula à lui faire perdre la tête ; puis, la crise passée, elle se rattrapa en le bourrant à l’étouffer d’exquises crèmes au chocolat, de croquettes à la vanille et de petits pâtés truffés.

Un bonheur si pur ne devait pas durer.

Un matin, Madeleine secouait par la fenêtre un gilet qu’Angelo avait mis la veille pour aller faire une course en ville. Quelque chose s’en échappa qui fit : Bing !… sur les pavés de la cour.

Elle se pencha et aperçut, horreur ! une mignonne épingle à cheveux, longue, avec la tête formée d’une boule d’or finement découpée à jours.

Il est inutile de dire avec quelle vélocité la tante jalouse descendit les deux étages et se précipita sur ce corps de délit. Elle le