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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/123

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— Je ne veux pas que mon enfant devienne un malhonnête homme. Je ne veux pas qu’il séduise les filles pour les abandonner ensuite avec leur enfant. Je veux le marier jeune, à une femme qui soit faite pour lui, qui lui plaise, et le soigne quand je ne serai plus là, — ce qui arrivera bientôt s’il plaît à Dieu ! — Cette femme je l’ai trouvée, je l’ai choisie pauvre, humble, dans l’espoir qu’elle ne le refuserait pas. Eh bien ! elle l’a refusé ! Si celle-là n’en veut pas, qui donc en voudrait ? Personne. Et mon Angelo porterait toute sa vie le poids de ma honte ! Jamais il n’aurait une famille, une femme à lui, des enfans ! Et je pourrais vivre, moi, après avoir mis au monde un pauvre être innocent pour en faire un malheureux ! C’est bon pour ceux qui n’ont pas de cœur, ni d’entrailles, ni assez d’honnêteté pour réparer leurs fautes, maître Barbarin. Moi je ferai tous les sacrifices pour mon fils ; je m’en irai.

L’imprimeur furieux haussa les épaules.

— Cela vous avancera à grand’chose de vous en aller !

Elle riposta, élevant le ton :

— Cela m’avancera à ceci que, dans une grande ville, d’abord, on ne sait pas qui vous êtes, ni d’où vous venez et que les gens sont moins regardans sur le chapitre de la naissance que dans un petit trou de pays comme celui-ci, où tout se sait. Ensuite, j’ai mon idée.

Ici Madeleine redressa sa taille encore belle malgré l’ampleur ; son œil eut une façon de briller qui fit papilloter les yeux du bonhomme ébahi, et sa voix s’affila comme pour entrer plus avant dans l’oreille et dans le cœur de son maître.

— Il ne faut pas vous imaginer, parce que je vis et que je m’attife comme une vieille femme, que je ne sois plus bonne qu’à faire des cataplasmes et des laits de poule, maître Barbarin. Si vous comptez soixante et dix ans bien sonnés, moi, je viens, tout à l’heure seulement, de toucher mes quarante. Et, je m’entends. Donc il ne me sera pas impossible, — j’aime à le croire, — de rencontrer une personne honorable, ayant de l’âge, des goûts délicats, une santé fragile et qui exige des soins dévoués, et qui ne sera peut-être pas fâchée d’épouser une bonne femme, encore jeune, ménagère, experte en cuisine et en petits raffinemens de gourmet, qui le soignera, qui le dorlotera, qui l’aimera et qui le fera vivre plus longtemps et plus heureux qu’il ne l’eût fait sans elle. Et celui-là entendra trop bien ses intérêts pour refuser la seule condition que je mettrai à son bonheur et qui sera de reconnaître mon fils pour le sien, de lui donner un père, un nom. Nous lui ferons une si belle vie, ensuite, que, j’en jure bien, c’est lui qui nous remerciera. Tenez, le voyez-tous d’ici, ce vieux bonhomme,