Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/179

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sentiment unique, l’admiration qu’inspirent la majesté de ces triples ou quintuples colonnades, la richesse des ornemens, la noblesse des peintures incrustées dans le pavement, sur les parois de la nef, sur l’arc triomphal, sur la voûte de l’abside : depuis le portique jusqu’à la tribune, le visiteur marche de surprise en surprise ; l’œil ébloui ne sait plus ou se poser. Mais l’architecte n’entre pour rien dans ce triomphe. Si dans les basiliques de Ravenne ou de Rome, à Saint-Apollinaire Nouveau, à Saint-Vital, à Sainte-Marie-Majeure, à Sainte-Praxède, vous supprimez les mosaïques qui font leur gloire, que restera-t-il pour charmer ou pour édifier ?

Dans le domaine de la peinture enfin, c’est encore la mosaïque, non la fresque, qui consacre l’avènement des idées nouvelles. Lorsqu’on lut demanda, après le triomphe de l’église, de concourir à la décoration des sanctuaires, — basiliques, baptistères, mausolées, — il s’agissait en réalité de créer, de toutes pièces, le vaste cycle de représentations qui, depuis, constitue le fonds commun de l’art chrétien. On ne saurait, à cet égard, assez applaudir aux judicieuses observations de l’historien des Origines du christianisme. « C’est bien à tort, dit M. Renan, en parlant des peintures des catacombes, qu’on a vu dans ces essais timides le principe d’un art nouveau. L’expression y est faible ; l’idée chrétienne tout à fait absente ; la physionomie générale indécise. L’exécution n’en est pas mauvaise ; on sent des artistes qui ont reçu une assez bonne éducation d’atelier ; elle est bien supérieure, en tout cas, à celle qu’on trouve dans la vraie peinture chrétienne qui naît plus tard. Mais quelle différence dans l’expression[1] ! »

La recherche de la magnificence avait déterminé, aux jours florissans de l’empire romain, la vogue extraordinaire de la mosaïque. Un besoin analogue lui permit, pendant le bas-empire, d’éclipser les autres branches de la peinture et de devenir l’instrument par excellence de l’église triomphante. Il était naturel que les barbares, incapables d’apprécier la pureté des formes, la noblesse du style, s’attachassent à la richesse de la matière première ; le luxe tint lieu, à leurs yeux, de goût. Dioclétien avait donné le signal d’un faste jusqu’alors sans exemple : à ce parvenu il fallut des étoiles de soie brochées d’or, des perles et des gemmes jusque sur ses chaussures. Ses successeurs renchérirent encore sur ces raffinemens. Désormais, les chroniqueurs ne nous entretiennent plus guère de la forme des œuvres d’art ; ils s’intéressent surtout à leur composition et à leur poids. Le moment vint où le marbre, le bronze furent dédaignés, comme matières trop communes ; l’argent, l’or, les pierres précieuses

  1. Marc Aurèle, p. 533.