Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/183

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Crémone. Hâtons-nous d’ajouter que, dans ces compositions inspirées du paganisme, l’artiste du moyen âge a voulu exprimer une idée foncièrement chrétienne. Le labyrinthe est pour lui l’image des séductions du monde : il a souligné son intention en plaçant, en regard du héros grec, David combattant Goliath. Il serait difficile de faire valoir le même argument en faveur d’un dernier ordre de compositions, auxquelles l’esprit populaire s’est attaché avec une ténacité extraordinaire : les souvenirs de l’amphithéâtre. Ici encore, ce sont les mosaïstes qui ont servi d’interprètes à la foule : à Rome, un fragment de mosaïque, provenant de la basilique de Saint-André in Barbara, représente un tigre dévorant une génisse ; à Crémone, à Carthage, à Djemilah et en vingt autres endroits, on rencontre des combats de fauves ou des scènes de chasse. Les pavemens ont conservé jusqu’à cette zoologie fantastique, dont le moyen âge s’empara avec une ardeur contre laquelle saint Bernard a protesté en termes éloquens, et qui, pendant tant de siècles, hanta comme un cauchemar l’imagination de l’Europe : sirènes, hippocampes, centaures, chimères, dragons, capricornes, basilics et autres monstres analogues, enfantés par l’antiquité ; l’exemple le plus curieux peut-être de cette persistance de la tradition nous est fourni par le pavement du dôme de Casale : on y voit les êtres fabuleux décrits par Pline, les hommes sans tête, et les antipodes, avec des inscriptions qui ne laissent aucun doute sur la source de l’inspiration.


III

Jusqu’à la translation du siège de l’empire à Constantinople, Rome avait régné sans partage dans le vaste domaine des arts. A partir du IVe siècle, une autre cité, jusqu’alors inconnue, lui dispute la suprématie en Italie même. Capitale délaissée, Rome chercha naturellement à se retremper dans les souvenirs et les leçons de son passé, ce passé écrasant qui faisait en quelque sorte sa raison d’être ; elle sera la gardienne de la tradition classique ; elle défendra contre les novateurs le dépôt sacré que lui a légué la Grèce vaincue. L’admirable mosaïque de Sainte-Pudentienne, qui n’a plus besoin d’être signalée aux visiteurs de la ville éternelle, montre que ces efforts furent couronnés de succès ; le christianisme a enfin trouvé une formule digne de lui ; nous assistons à une véritable renaissance de la peinture, tout à l’heure expirante. Mais on lutte en vain contre la destinée. Rome était atteinte dans ses organes vitaux ; un chef-d’œuvre ne pouvait pas l’arrêter sur la pente de la décadence. Les artistes romains cherchent en vain à suppléer par les leçons de leurs ancêtres à l’étude de cette nature qu’ils ne comprennent plus ; le