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d’une première discussion irritante. On était d’accord sur le fond, mais la gauche soutint et fit passer, malgré le cabinet, le dessaisissement de la juridiction militaire au profit des cours d’assises. Peu de jours après, le refus des honneurs funèbres aux membres de la Légion d’honneur enterrés civilement souleva un débat menaçant, et le projet déposé par le gouvernement afin de ne rendre les honneurs qu’aux militaires en activité de service, en passant à côté de la question, ajouta au mécontentement. L’examen du budget des cultes s’ouvrait sous de fâcheux auspices. Il semblait que la gauche eût accumulé en quelques articles toutes ses revendications les plus inopportunes. La suppression du budget des cultes fut aisément écartée, mais l’augmentation de traitement pour les desservans pauvres, proposée par le garde des sceaux, fut votée de mauvaise grâce après plusieurs réductions successives et à la suite de propos acerbes qui révélaient une lutte systématique contre le clergé et qui mettaient à une singulière épreuve la patience de M. Dufaure.

Affaibli à la chambre, le président du conseil était presque déterminé à se démettre. Il aurait fallu que le sénat, le voyant ébranlé, fît un effort pour le soutenir. La loi sur la cessation des poursuites allait permettre de savoir ce que, de ce côté, on pouvait attendre. Après une discussion approfondie et malgré un discours du garde des sceaux, la majorité du sénat la rejeta. M. Dufaure n’hésita plus à se retirer. Il était persuadé que, ni ses convictions, ni ses goûts, ni son tempérament ne convenaient à une chambre jeune, inexpérimentée, ne connaissant ni les questions ni les difficultés de la politique. Il souffrait des malentendus et s’en irritait. À aucune époque, la responsabilité de sa mission ne lui avait paru plus pesante.


III

M. Dufaure recouvrait avec bonheur sa liberté. S’il avait moins aimé son pays, il eût goûté un repos sans mélange, mais les préoccupations le suivirent alors même qu’il s’éloignait de Versailles pour aller chercher, pendant l’hiver, un climat nécessaire à la santé de Mme Dufaure. De loin, il essaya de comprendre le singulier spectacle que le bruit et le mouvement de la scène l’avaient peut-être empêché de saisir. Plus il suivait les symptômes de cette instabilité des esprits et moins il se rendait compte des mobiles qui maintenaient les députés en une perpétuelle agitation. Lui, qui désirait si sincèrement l’établissement et la durée d’un régime régulier fondé sur le respect des lois, ne pouvait souffrir cet abus de l’initiative parlementaire remettant tout en question, ne laissant debout ni une loi, ni une institution. « Si la majorité, écrivait-il de Menton