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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/374

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jurisconsultes qui partageaient leur temps entre la chambre des lords et la cour de justice qu’ils présidaient le même jour, augmentant l’une par l’autre la dignité de leurs doubles fonctions et apportant à la chambre haute le reflet d’une autorité qu’ils empruntaient à l’interprétation souveraine des lois. M. Dufaure nous rappelait ces vies pleines d’austères devoirs.

Lorsqu’il s’était rendu le matin au conseil d’état, qu’après avoir présidé le conseil des ministres, il partait pour Versailles prêt à prendre part aux discussions du parlement, il était impossible de ne pas songer à ce qu’il aurait fait, au grand profit de la justice et des lois, s’il avait été débarrassé des soucis de l’action. Heureusement l’année 1878 fut une des plus paisibles que la France ait traversées depuis douze ans ; fatiguée des querelles, elle se reposait en recevant le monde entier dans cette fête de l’exposition qu’accompagnait si à propos une trêve des partis. M. Dufaure, étranger aux joies bruyantes, prit un intérêt passionné à ces comparaisons de toute nature qu’offrait à un esprit curieux le palais du champ de Mars. Lorsque l’automne arriva, ses collègues le décidèrent à aller prendre quelque repos à Vizelle. Il y passa trois semaines sans cesser de diriger la chancellerie et de conserver la signature.

À son retour, l’horizon s’était rembruni. Ceux qui avaient le goût des intrigues étaient las du calme dont jouissait la France. Le ministère aurait bientôt un an ! À quoi songeaient les politiques ? Ils se remirent si bien et si vite en campagne, ils firent tant de projets, se montrèrent si bavards et si pressés qu’on put croire un moment leurs plans éventés. M. Dufaure, qu’on avait voulu forcer à donner sa démission, n’avait pas daigné écouter ces sommations de couloirs. Il attendit de pied ferme les attaques publiques. Devant ce calme l’audace se tut. On recourut à d’autres moyens. Du moment où il ne voulait pas céder la place de bonne grâce, on saurait bien l’y contraindre. Les intrigues se nouèrent afin de préparer un grand ministère présidé par M. Gambetta et dans le sein duquel les quatre gauches seraient représentées.

Il y a des heures de crises où certaines idées se propagent et dominent exclusivement les esprits. Au commencement de janvier 1879, le changement du personnel judiciaire, administratif, financier et militaire était l’unique sujet des conversations et des vœux dans les couloirs de la chambre, dans les rues et dans les trains de Versailles. Les élections sénatoriales, à entendre les députés, contraignaient le ministère à agir avec énergie, ce qui signifiait à destituer et à révoquer des catégories entières de fonctionnaires. Il est vrai que les nouveaux sénateurs auxquels on prêtait une si impérieuse volonté se montraient beaucoup moins absolus.

M. Dufaure était disposé à les écouter d’une oreille d’autant plus