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qui précéda Kant, et examinons d’abord si, dans la question des origines, il réussira mieux que ses devanciers à opérer le difficile passage du point de vue purement naturel à un principe de moralité supranaturel, qui serait à la fois et indivisiblement la racine de toute existence, de toute conscience, de toute volonté.


II

Puisque le problème moral nous ramène aux problèmes métaphysiques qui constituent, selon le mot de Kant, la « métaphysique des mœurs, » rendons-nous d’abord compte du caractère que doit offrir toute tentative pour expliquer l’origine de l’être, de la pensée et du vouloir. Si on en croit trouver l’explication en dehors de l’humanité et de la nature dans un être supérieur, ce ne peut être qu’en vertu d’un certain rapport qu’on établit entre l’univers et son principe ; mais alors ce rapport, qui est la seule raison pour admettre un principe transcendant, ne doit être ni une simple traduction en termes nouveaux de la difficulté qu’il s’agit de résoudre, ni une contradiction dans les termes mêmes. Si donc, dans nos apparentes solutions du problème, subsiste le problème tout entier, et si, en outre, il y a incompatibilité entre l’univers à nous connu et le principe par nous supposé, il n’y a plus de motif pour admettre ce principe qui, au lieu d’expliquer, ne fait que compliquer. N’est-ce point le défaut que nous pourrons reprocher à l’idée du bien surnaturel, comme explication de cet effort incessant, de cet universel désir que l’homme trouve d’abord en lui-même et transporte ensuite par analogie dans la nature entière ?

Si on coordonne les raisons en faveur d’un bien surnaturel éparses dans les ouvrages de M. Ravaisson, on les verra se ramener aux argumens traditionnels du spiritualisme et se grouper en trois classes : elles sont tirées du principe de causalité, du principe de finalité, et enfin du concept même de perfection ou de bien infini. M. Ravaisson s’efforce d’abord de montrer que la nature et l’humanité ont nécessairement une cause supérieure à elles-mêmes et surnaturelle. En effet, ce qui constitue selon lui l’essence même de la nature comme de l’homme, c’est la tendance, l’effort, quelque chose d’analogue à ce que nous trouvons en nous-mêmes, à ce vouloir que la morale entreprend de régler. Admettre que le monde a sa cause en soi, ce serait donc admettre, selon lui, que l’effort est le dernier mot des choses. Or, c’est ce qu’il est impossible de soutenir, dit M. Ravaisson, car l’effort ne se comprend que comme « l’action arrêtée, empêchée, suspendue. » Il implique donc opposition mutuelle des êtres, et conséquemment dualité, multiplicité de causes ; mais l’intelligence a besoin d’unité. Voilà pourquoi, au-dessus de