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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/461

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Don Juan l’emporte en grandeur, mais les Noces, quel régal exquis ! C’est de la musique d’archiduchesse ; vous y respirez cette aimable ironie des sphères élevées où l’auteur vécut, un je sais quoi de fin, de poudré, d’esthétique propre à la société du temps et dont l’impressive et nerveuse organisation de Mozart a plus encore peut-être recherché que subi l’influence. Bien des tendances politiques du drame de Beaumarchais ; la comédie de cour et d’après le naturel. Souvenez-vous du monde des Sonates, c’est le même qui défile devant vos yeux pendant la représentation ; de beaux messieurs en bas de soie, le geste haut et familier, sourians, jeunes malgré la poudre et le fard qui leur donnent un petit air vieillot, de nobles dames qui se déguisent en bergères, des pages roucoulant la romance aux pieds de leur châtelaine, tandis que le seigneur est à la chasse et braconne au pays de Tendre ; un monde cérémonieux, galonné, fleuri de distinction suprême et pourtant capable d’amour, de jalousie, capable même de naïveté dans son imprescriptible attachement à l’étiquette. Point de pamphlet ni de satire ; le sol que vous foulez n’est qu’un parterre de roses, vous y marchez, librement et sans crainte d’alerte entre des corbeilles et des plates-bandes dont la variété vous émerveille. Les personnages ont tous le ton et les passions de leur état ; le comte, très grand seigneur, n’aimant pas qu’on le plaisante et poussant tout de suite les choses au tragique. Voir l’air du second acte, si résolu, si fier, dépassant de si haut Beaumarchais : la comtesse rêveuse, amoureuse, langoureuse, en proie à ses vapeurs, une archiduchesse qui s’ennuie et songe aux aventures dans son gynécée, Suzanne, une accorte, élégante et sensuelle Viennoise, Figaro, bonhomme et jovial, ouvert à toutes les gaîtés, à toutes les roueries de l’antichambre sans regarder guère au-delà, plus baryton que philosophe, Chérubin, la quinzième année qui s’éveille, le désir en pleine poésie, un Faublas qui se souvient d’Ariel. Puis, alentour, Bartholo, Basile, Marceline, Antonio, toutes les figures secondaires, soulignées d’un trait, qui se meuvent et se croisent dans le finale, un des plus savans et des plus surprenans tableaux où se soit exercée la main d’un maître du théâtre.

L’exécution de pareils ouvrages laisse toujours à désirer, et ce n’est pas avec des points d’exclamation qu’on la juge, non que je veuille jeter un froid sur le succès de l’Opéra-Comique ; l’effort est excellent, mais ce qui manque, c’est la tradition. Mozart ne se joue pas ainsi au pied levé ; il exige, comme Molière, certaines conditions d’atmosphère, et sans parler de notre ancien Théâtre-Italien si regrettable à tant de titres, je citerais en Allemagne telle scène secondaire où le sens de ce style a survécu bien autrement. Quand l’auteur n’est plus là pour vous indiquer ses mouvemens et ses nuances, c’est la tradition qui le remplace ; des virtuoses multipliés ne font point un ensemble. Que sait, par exemple, Mlle Van Zandt de cette musique ? Qui lui en a