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Euphrosine et Coradin, la leçon parut moins agréable ; elle n’en porta que mieux ses fruits. En présence d’un pareil rival et du succès de Faniska dont le bruit emplissait l’Europe, le musicien piqué d’émulation se mit à feuilleter des traités de fugue et de contrepoint, à écrire des marches d’harmonie, c’est de ce système qu’est sorti Joseph, son chef-d’œuvre.

J’ai cité Euphrosine et Coradin représenté en 1790, Joseph est de 1807. Entre ces deux dates se déploie un vaste répertoire où figurent à tour de rôle Stratonice, la Caverne, Ariodant, l’Irato, Uthal, Gabrielle d’Estrées, quatre ou cinq opéras en un acte, trois ballets, le Jugement de Paris, 1793, la Dansomanie, 1800, Persée et Andromède, 1816. « On devient plus exigeant à mesure que l’art fait des progrès ; en 1790, les amateurs crièrent au miracle après avoir assisté à la représentation d’Euphrosine, on regarda cet opéra comme un chef-d’œuvre de science musicale ; les adversaires de Méhul opposèrent tous leurs souvenirs du passé à cette musique, qu’ils trouvaient barbare tant elle était chargée d’effets d’orchestre. Aujourd’hui les deux partis ont tort. En admirant les beautés que cet ouvrage enferme, je dois dire que la facture en est négligée et que le chant instrumental paraît insuffisant pour notre oreille accoutumée à des combinaisons d’un coloris plus vigoureux. » Ce jugement qu’un célèbre critique portait jadis sur Euphrosine pourrait aujourd’hui s’appliquer non pas à telle partition de Méhul, mais à son œuvre entier. Le siècle a si terriblement cheminé depuis lors, qu’on se prend à sourire des audaces dont nos pères s’effarouchaient. D’autre part, nous verrons plus loin, par Joseph, le peu que pèsent ces acquisitions modernes dans la confection d’un chef-d’œuvre et quelles sublimités peuvent naître sans l’intervention de l’enharmonique. Méhul est un musicien de théâtre, il étudie les caractères, peint les passions, il a le sentiment, l’émotion, la grandeur ; Méhul sait faire vivre, et certaines de ses ouvertures nous montrent combien il possède aussi la note pittoresque.

Je ne prétends pas que l’ouverture du Jeune Henri soit une symphonie dans l’ordre de la pastorale ; mais, s’il n’a point cet art de tourner et retourner un motif, de tirer d’un sujet tout ce qu’il contient de lumière, s’il ignore cette science infinie du développement qui sied à la conception abstraite des Beethoven, quelle suite d’images variées dans son style, comme il s’entend à vous intéresser aux moindres incidens de son poème ! Cette ouverture du Jeune Henri par exemple, — toute française, — n’est point une méditation instrumentale sur la chasse telle que Beethoven l’eût composée, c’est le tableau même d’une chasse à courre depuis la quête jusqu’à la curée. L’aube s’éveille humide et calme, le musicien réunit ses cavaliers, leur fait trouver le pied du cerf ; ils le lancent, galopent avec lui, le perdent, le cherchent, le retrouvent, le poursuivent plus vivement. La bête forcée se rend enfin. Un coup de timbales imitant le coup de feu annonce qu’elle est frappée à