Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/471

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
: Irritat, mulcet, falsis terroribus implet,
: Ut magus…..


Il semble effectivement que c’était pour l’auteur du duo d’Euphrosine qu’Horace fit des vers. » Admirons cet art de parler de soi à propos de tout et de tous ; Grétry nous dira bien qu’Horace semble avoir fait ces vers pour Méhul, mais c’est après avoir eu soin de nous apprendre que Diderot les avait inscrits sous son portrait à lui Grétry. Il s’emprunte à lui-même l’hommage qu’il décerne aux autres, cueille sur sa propre poitrine la croix dont il vous décore ; il est bon prince. Ce diable d’homme avait des raffinemens de personnalité à confondre les plus gros seigneurs de notre époque. Un matin quelqu’un, dont chez moi j’ai le portrait dessiné par Greuze, aborde Grétry en fredonnant.

— Que chantez-vous là ? demande l’auteur de Richard Cœur de lion.

— Vous le savez comme moi.

— Pas le moins du monde ; quel est cet air ?

— La romance d’Une Folie, du Méhul !

— Je ne connais pas…

— Mais puisque nous l’avons entendue ensemble ?

— Quand donc cela ?

— A Feydeau, le mois passé.

— Attendez, oui, je m’en souviens… Une Folie ! En effet, cette petite pièce qui se joue en lever de rideau et dont nous avons entendu la fin un soir que nous arrivâmes trop tôt à Richard.

Méhul avait une organisation sensible à l’excès ; il aima passionnément les femmes et les fleurs, deux choses très charmantes et faites pour s’associer avec la musique ! Quant aux femmes, il en distingua beaucoup, sans compter la sienne, qu’il avait épousée d’inclination et délaissa pour d’autres qui ne la valaient point et le trompèrent. Ses affections n’allaient point sans quelque mysticisme. Il croyait au surnaturel, aux fantômes. Une personne qu’il avait eue pour maîtresse était morte à soixante lieues de Paris pendant la nuit ; au matin, il s’habille à la hâte, court s’informer chez des amis communs, qui, de leur côté, n’ont aucune nouvelle. Mais, lui, de plus en plus effaré : « Elle est morte ! je vous répète qu’elle est morte ; je l’ai vue cette nuit comme je vous vois ; elle est entrée pâle et dans son linceul en me disant : « Je te recommande mon fils. » Curieux phénomène et très fréquent aux premiers temps de la révolution que ce mélange de libre pensée et de superstition ! Comme si l’austère raison devait toujours à la longue et par force de contradiction surexciter la vie imaginative, « le côté nocturne de l’être humain ! » dirait Leibniz. Méhul est dans son art la raison même ; oncques ne se vit cerveau de musicien mieux équilibré, et c’est peut-être justement ce qui donnait naissance au visionnaire.