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ne soit un peu léger, » ajoutait l’orateur académique, aux applaudissemens très significatifs de l’auditoire.

C’est cet élément subtil et presque insaisissable qu’il faudrait tout d’abord éliminer par une opération chimique, sublimer, comme disaient les vieux alchimistes, afin de pouvoir apprécier avec exactitude ce qui restera, au fond du creuset, de substance solide vraiment utilisable pour les adeptes du positivisme. Mais comme il est difficile d’arriver à saisir ce résidu pur et sans mélange ! Une opération aussi délicate demande, pour réussir, beaucoup de tact, de finesse et de sincérité. C’est une expérience de chimie morale à faire sur l’atmosphère intellectuelle dans laquelle et dont nous vivons. Cette atmosphère n’est-elle pas en effet saturée de la vie antérieure du monde civilisé et de ses conditions d’existence ? Nous la respirons sans nous en rendre compte, et les positivistes aussi bien que nous. Il n’est pas difficile de démêler dans leurs jugemens et leurs sentimens un grand nombre de ces idées dont l’origine devrait leur être suspecte, mais qui font partie de cet air natal et familier nécessaire à leurs poumons, où leur vie s’alimente encore longtemps après qu’ils s’imaginent s’être créé à eux-mêmes des conditions nouvelles d’existence.

C’est l’ordinaire erreur des positivistes quand ils s’occupent de la vie humaine. Ils font profession, dit M. Mallock, de l’avoir déreligionisée avant de s’en occuper. Mais c’est une singulière méprise. Ils s’imaginent donc que la religion n’existe que dans sa forme pure, qu’elle est toujours un sentiment distinct de la dévotion, ou l’assentiment d’une foi qui a conscience d’elle-même. On s’est débarrassé de ces formes, et l’on se persuade alors que tout est fini. C’est à peine si l’on est au début de l’opération. L’idée religieuse ne se trouve que rarement à l’état pur, elle se combine, à l’ordinaire, avec les actes et les sentimens de la vie ; elle leur donne des propriétés, des couleurs et une consistance toutes nouvelles. Elle se trouve partout cachée, là même où nous aurions été le moins tentés d’aller la chercher, dans l’esprit et dans l’humeur même, dans nos ambitions présentes et futures. Bien plus encore la trouverions-nous dans l’héroïsme, dans la pureté, dans l’affection, dans l’amour de la vérité et dans tout ce qu’il plaît aux positivistes d’exalter. Ils pensent apparemment qu’il leur suffit d’éliminer Dieu pour s’emparer de son héritage. Aussitôt qu’ils ont frappé les croyances, ils se retournent du côté de la vie, en montrent les trésors et nous appellent à en jouir. Mais il se trouve qu’ils sont loin de compte. Tout maintenant a changé d’aspect. La religion est une des couleurs de la vie qui se mêle le plus intimement à toutes les autres couleurs conservées sur la palette ; c’est elle qui leur prête leur apparence de