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spiritualisme tout entier, y compris l’idéalisme, qui en est une dernière forme. Dans une polémique récente, un des plus hardis et des plus ardens écrivains de ce temps raillait impitoyablement ce que d’autres, démolisseurs convaincus des religions, mais plus timides pour tout le reste, voudraient conserver sous le nom de croyances laïques et maintenir à la place et sur les ruines mêmes des dogmes. « Croyances laïques, disait-il, le mot m’a plu. Je ne serais pas fâché de savoir en quoi elles consistent. Une croyance religieuse, cela se conçoit. Vous faites intervenir un être supérieur, une révélation ; vous vous inclinez, vous obéissez. Voilà qui va bien. Hors de là, je ne sache pas qu’il y ait autre chose que la raison individuelle. La raison m’apprend certaines vérités scientifiques, telles que : deux et deux font quatre, et : la ligne droite est le plus court chemin d’un point à un autre. Mais je ne pense pas que ce soient là les croyances laïques dont on nous parle et qui constituent la morale. Il n’est pas une de ces prétendues croyances qui ne puisse être niée par la raison. On ne s’aperçoit donc pas que les fameuses croyances laïques sont tout simplement les vestiges du christianisme que l’on a détruit. » Et s’adressant à ses adversaires, qu’il accuse d’inconséquence : « Toutes les lois, dit-il, avec lesquelles vous faites la morale devraient être considérées par vous comme autant de préjugés ; car toutes viennent de là. Vous avez sapé la base, mais le château reste encore en l’air, tenant debout par la force de l’habitude[1]. »

Il semble bien démontré que le monde moderne vit encore, malgré tout l’effort des nouvelles doctrines, sur le capital (bien qu’amoindri et chaque jour décroissant) des idées morales accumulées pendant de longs siècles. Mais qu’arrivera-t-il quand ce capital sera perdu et dissipé ? Il faut prévoir que ce jour-là, qui même ne peut guère tarder, si l’on en croit les pronostics du positivisme, on devra se contenter de ce qui est strictement contenu dans les données de l’expérience positive. Et dès lors a un changement s’accomplira dans le monde dont le sens et la portée nous échappent encore, mais que nous pouvons essayer de deviner ; c’est la transformation d’une ère qui finit et d’une autre qui commence. » Tâchons de réduire à leur plus simple expression, en les dégageant de tout alliage métaphysique ou religieux, les données fondamentales de ce que l’on a nommé la foi scientifique : toutes les idées constitutives de chaque science devront être l’objet d’une perception positive, d’une expérience indiscutable et vérifiée ; les phénomènes psychiques ne pourront être étudiés que dans leur expression sensible et dans leurs conditions

  1. M. Henry Maret.