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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/530

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pour l’Irlande dans un délai de six semaines ; une cotisation prélevée sur les adhérens produisit une somme de 5 millions. Il y avait une certaine crânerie dans cette manière d’opposer parlement à parlement, gouvernement à gouvernement, et de répondre aux lois d’exception votées à Londres par une déclaration de guerre datée de New-York. Au bout de quelques jours cependant, la réflexion vint refroidir l’enthousiasme. Entreprendre une expédition maritime contre l’Angleterre avec un budget de 5 millions, quelques régimens de volontaires levés à New-York et quelques bâtimens de commerce transformés en transports, c’était une de ces folies grandioses qui passent pour sublimes ou pour ridicules suivant la manière dont elles se terminent. Garibaldi seul de notre temps a mené à bonne fin pareille aventure ; et c’était contre le pauvre petit roi de Naples. Les plus expérimentes parmi les chefs fenians proposèrent quelque chose de plus modeste : une expédition contre le Canada. De ce côté, les difficultés étaient moins grandes. On ne se heurtait pas du premier coup à la formidable puissance maritime de l’Angleterre. On se trouvait en présence d’une frontière très étendue, presque dégarnie de troupes, ouverte sur bien des points. On se décida donc pour une attaque contre le Canada, sauf à revenir plus tard au projet de descente en Irlande. Le 4 juin 1866, un petit corps de fenians, une sorte d’avant-garde, franchit le Niagara près de Buffalo et occupa le Fort-Erie. Des volontaires canadiens, étant venus à leur rencontre, furent battus et dispersés. Ce petit succès provoqua un vif enthousiasme chez les Irlandais des États-Unis. Si de nouveaux régimens fenians avaient pu passer la frontière, l’expédition pouvait prendre un caractère sérieux. Le gouvernement des États-Unis coupa court à ce mouvement avec une décision qu’on n’attendait pas de lui. Il fit surveiller sévèrement la frontière. Le président Johnson lança une proclamation contre les fenians. Le général Sweeney, organisateur de l’expédition contre le Canada, fut arrêté. Ne recevant pas de renforts, les fenians engagés au-delà du Niagara furent bientôt acculés à la frontière. Les uns la repassèrent ; les autres, cernés et faits prisonniers, comparurent devant une cour martiale : six d’entre eux furent fusillés.

La tentative des fenians contre le Canada n’eut pas beaucoup de retentissement en Europe. Sur le continent toutes les préoccupations se concentraient autour de la lutte qui venait de commencer entre la Prusse et l’Autriche et qui devait se terminer au bout de quelques semaines par la bataille de Sadowa. En Angleterre, le cabinet de lord Russell succombait sous une coalition de conservateurs et de libéraux dissidens. Lord Derby était appelé à former un nouveau ministère. Disraeli redevenait ministre des finances et leader de la