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par des offres d’argent ou effrayés par des menaces, aient tous disparu… Donc le crime est impuni… Le glaive symbolique de la justice est devenu aussi inoffensif que la latte d’un arlequin… Il y a tout un système à renverser, toute une épuration à faire. Frappons une justice corrompue qui acquitte moyennant finances… » Propos de journalistes, dira-t-on peut-être. Qu’on écoute donc le congrès lui-même, s’exprimant, en 1868, par l’organe d’un de ses comités : « Il est nécessaire de renvoyer tous les voleurs du service public : ce sera une affaire de temps, les voleurs infestant chaque département. Ils sont comme les trichines dans le système animal… Il n’y a pas de branche de service dans laquelle on ne les trouve. » Il y a d’ailleurs deux faits plus éloquens et plus décisifs que tous les articles de journaux et que tous les rapports au congrès. D’une part, le lynchage, après avoir pris naissance dans le Far-West et la Californie, se propage à mesure que se multiplient les scandales judiciaires dans les États d’ancienne formation, et le peuple sur divers points du territoire, en vient à exécuter sommairement ses propres juges[1]. D’autre part, les associations de citoyens, sous le nom de « comités de vigilance, » se substituent, dans plusieurs États, à la magistrature régulière, arrêtent, jugent (généralement sans intervention d’un avocat) et exécutent les coupables. Nés en Californie il y a trente ans, à la suite de jugemens iniques rendus par des juges vénaux, ces comités se sont surtout développés dans les états du Sud et sont, en Louisiane, presque officiellement organisés : « Nous entendons déblatérer contre les comités de vigilance, disait la Sentinelle des Atlakapas du 21 mars 1874. Eh bien ! nous disons, nous, qu’ils sont devenus indispensables… Lorsque les cours de justice, pour une raison ou pour une autre, ne protègent ni les propriétés ni la personne des honnêtes gens, il appartient à ceux-ci de se protéger eux-mêmes. » Nos lecteurs ont désormais compris pourquoi les partisans du système électif « n’aiment pas à parler des Américains. » Il ne nous reste donc plus qu’à parler de nous-mêmes en consultant notre propre histoire.

C’est le 7 mai 1790 que l’assemblée constituante, à une assez faible majorité (par 503 voix contre 450), décréta l’élection des juges, u Les juges seront élus par les justiciables, » dit la loi du 16 août 1790 (tit. II, art. 3). « Ils seront élus pour six années ; à l’expiration de ce terme, il sera procédé à une élection nouvelle, dans laquelle les mêmes juges pourront être réélus » (art. 4). « Nul

  1. « Il y a peu de temps, dans le Missouri, le peuple a lynché un juge et un attorney soupçonnés de connivence avec une bande de voleurs. Des faits de ce genre se sont récemment passés dans la Louisiane, la Virginie, le New-York, le Maine, le Massachusetts lui-même. » (Cl. Jannet, ch. VIII.)