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l’ascétisme chrétien et l’épicurisme le plus frivole. » Une seule passion unissait cette foule bariolée, les jeux du cirque, où les partis de cochers étaient un pouvoir dans l’état. Il faut lire les homélies de Jean Chrysostome pour se rendre compte des vices, des vanités, du fanatisme, de la superstition de ce peuple incohérent.

Un des caractères bizarres de la ville, c’était le mélange de paganisme et de christianisme que l’on trouvait dans les monumens, sous Constantin. La statue de l’empereur, faite avec une statue d’Apollon, dont on avait changé la tête, était surmontée d’un nimbe formé de sept clous, qu’on disait clous de la vraie croix, et des morceaux de cette croix étaient enfermés comme talismans dans le buste d’airain d’Apollon. Une déesse de la Fortune portait le symbole de la croix. La religion nouvelle s’appropriait ainsi ce qu’elle ne détruisait pas, elle convertissait de force jusqu’au peuple d’airain et de marbre. On vit le même spectacle à Rome, sous Sixte V, lorsque l’église, triomphant de la renaissance païenne, imposait partout ses emblèmes.

Constantinople formait alors le plus grand musée d’art que le monde ait jamais vu. Les statues, moins nombreuses qu’à Rome, étaient des œuvres d’artistes immortels qui servaient de trophée au despotisme des césars et à la nouvelle religion conquérante. Lorsque la jeune impératrice prenait place à l’hippodrome, où, plus tard, sa propre statue devait être placée à côté de celle de l’empereur, elle apercevait mille souvenirs de son pays natal, ses anciens dieux, le trépied de l’Apollon Pythien de Delphes, célèbre offrande des Grecs après Platées. Elle pouvait voir réunis aux thermes splendides de Zeuxippe la collection des grands hommes de la Grèce, un Homère pensif, incomparable chef-d’œuvre, une statue d’Hélène si belle que, selon l’expression d’un poète, bien qu’elle fût de bronze, elle éveillait le désir d’amour. La plupart de ces chefs-d’œuvre périrent par les incendies, les émeutes, les tremblemens de terre, le fanatisme des chrétiens, la fureur de destruction des barbares dans les provinces. Les derniers restes furent anéantis par les croisés, en sorte que ces musées de Constantinople, où tant de chefs-d’œuvre étaient accumulés, ont été perdus pour l’humanité. C’est du milieu des débris de Rome que devaient ressusciter les dieux et les héros antiques qui ont inspiré l’art de la renaissance.

Au milieu des splendeurs de son palais, Athénaïs-Eudocie devait s’imposer par sa grâce, sa dignité, sa dextérité au monde dangereux qui l’entourait. Elle traversait des salles pavées de marbre, recouvertes chaque matin de poudre d’or par des centaines d’esclaves, suivie de ses dames d’honneur, au milieu d’une nuée de chambellans qui se prosternaient jusqu’à terre sur son passage. Le premier fonctionnaire de la cour était l’eunuque préposé à la sainte chambre à coucher. Tout le cérémonial, emprunté par