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la Macédoine. Ces présomptions furent acceptées par le peuple et même par les historiens. M. Littré, commentant le récit de la mort d’Alexandre tel qu’il nous a été laissé par ses deux historiographes, nous montre clairement que l’illustre conquérant est mort d’une de ces fièvres pseudo-continues si bien décrites par Hippocrate et qui sont, depuis les temps les plus reculés, fort meurtrières dans tout l’Orient[1]. Ainsi s’évanouit, devant la critique sagace de M. Littré, toute la légende de l’empoisonnement d’Alexandre.

Par une expertise également profonde et sagace, M. Littré a détruit le soupçon qui planait sur la mort de Madame, de la charmante Henriette-Anne d’Angleterre, duchesse d’Orléans[2]. Lorsque cette aimable princesse mourut en quelques heures, au milieu de la santé apparente la plus parfaite, il n’y eut qu’un cri dans la cour et dans la ville : on l’a empoisonnée, et tous désignaient l’empoisonneur dans la personne du chevalier de Lorraine, que Madame avait fait exiler. Quelle mort foudroyante, en effet ! Vers cinq heures de l’après-midi, on apprend que la princesse est malade ; dans le milieu de la nuit, elle a succombé : « Madame se meurt, Madame est morte ! » Ces fins rapides et tragiques ont toujours effrayé nos pères, qui les rapportaient à quelque agent surnaturel ou étrange, un philtre ou un poison. Mais aujourd’hui nous savons les expliquer par des apoplexies cérébrales, des ruptures du cœur ou des grosses artères, et aussi par la rupture subite de l’estomac, dans une maladie que l’illustre Cruveilhier a décrite le premier, il y a cinquante ans, sous le nom d’ulcère rond de l’estomac. Or M. Littré nous démontre que c’est à cette affection qu’a succombé la duchesse d’Orléans. Pour établir ce diagnostic rétrospectif, il se sert de deux documens, le récit de la maladie laissé par Mme de La Fayette et le procès-verbal de l’autopsie conservé dans les manuscrits français de la Bibliothèque nationale. Madame, à la fin de la journée, fut prise tout à coup de douleurs partant du creux de l’estomac et s’irradiant dans tout le ventre ; ces douleurs devinrent atroces quand elle but un verre d’eau de chicorée et, plus tard, un verre d’huile. Elle criait, tant elle souffrait, et disait : « Si je n’étais pas chrétienne, je me tuerais, tant mes douleurs sont excessives. » Son visage devint pâle, ses extrémités froides, son pouls petit, son sang se figea, si bien que la saignée du pied ne donna pas de résultat, les vomisse-mens survinrent. Puis arriva la torpeur, elle n’eut plus la force de crier ; la mort se peignit sur son visage et envahit tout son être. Les médecins avaient d’abord dit qu’il s’agissait la d’une colique sans

  1. Littré, Revue des Deux Mondes, 15 novembre 1853, de la Toxicologie dans l’histoire de la mort d’Alexandre.
  2. La Philosophie positive, septembre et octobre 1867.