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natif de Bernburg, qui avait été le pitre d’un marchand d’orviétan, s’en vint trouver le roi Frédéric-Guillaume Ier et lui proposa un moyen de son invention pour accroître le revenu des brasseries royales. Il ne s’agissait que de fabriquer dans l’intérêt de la santé publique une bière sensiblement plus faible, de la vendre dans l’intérêt du fisc sensiblement plus cher et de contraindre les habitans de chaque village à en acheter chaque année une certaine quantité, sans les obliger toutefois à la boire, car il faut respecter la liberté de son prochain. Cela s’appela la conscription de la bière. A défaut d’un parlement qui n’existait pas, la chambre du domaine se permit à ce sujet de respectueuses représentations. Le roi lui adressa au mois de mars 1739 une ordonnance ainsi conçue : « La très louable chambre est priée de ne plus raisonner et de laisser tranquille l’honnête Eckard, ou nous nous chargerons de faire rentrer le président de la chambre dans son devoir en lui administrant nous-même un bon coup de bâton. » En vérité, MM. Lasker et Richter doivent se féliciter tous les jours de n’avoir pas vécu sous le règne de Frédéric-Guillaume Ier et de sa grosse canne de sergent. Quant à l’honnête Eckard, il fut nommé conseiller de la guerre et des domaines et décoré de divers ordres. Le roi lui alloua pour logement un palais, sur la façade duquel il voulait faire graver une inscription signifiant à peu près : « Voilà le salaire qu’obtiennent les loyaux services. » Mais il entendait que cela fût mis en beau langage, selon toutes les règles de l’art, et se défiant de lui-même, il confia cette tâche à l’Académie des sciences, qui ne réussit pas à le satisfaire.

Après la guerre de Sept ans, Frédéric le Grand consacra tous ses efforts à réparer le désordre et l’épuisement de ses finances. — Ce qu’il me faut, disait-il, c’est de l’argent, beaucoup d’argent. Tout ce qui amène chez moi de l’argent est bon ; tout ce qui le fait sortir de chez moi est mauvais. — C’est ainsi qu’il comprenait l’économie politique. Il ne savait pas que, comme l’a dit Mirabeau, un écu ne sort le plus souvent d’un pays que pour en aller chercher d’autres au dehors, qu’il ramène avec lui. Uniquement occupé de remplir ses caisses. Frédéric recourut à toutes sortes de moyens fiscaux que M. Braun énumère, à la loterie, aux monopoles du sel et du tabac, au monopole de la navigation sur l’Elbe, au monopole de la pêche au hareng. Il se fit marchand de blé. Il institua une société privilégiée, chargée d’approvisionner Berlin et Potsdam de bois de chauffage, et il fit main basse sur tous les chantiers particuliers. Il en résulta que le prix du bois de chêne monta de 8 thalers à 20, que le bois de sapin, qui coûtait auparavant 3 écus. en coûta 18, et l’histoire ne dit pas qu’il fût meilleur ; aussi les bourgeois de Berlin s’empressèrent-ils de le remplacer par la tourbe.

Les inventions fiscales du vainqueur de Rosbach lui rapportèrent beaucoup moins de profit qu’il n’avait espéré, appauvrirent et