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comme le recueillement avait été une politique, et, en définitive, elle pouvait être pratiquée sans péril. Elle ne pouvait inquiéter sérieusement les cabinets du continent, et elle se produisait, sous la garantie de l’alliance des deux plus grands états maritimes, dans un intérêt universel, pour le bien de la paix générale, pour le maintien de conditions internationales depuis longtemps reconnues, acceptées par toutes les puissances de l’Europe, sans excepter la Sublime-Porte elle-même.

Oui, sans doute, c’était une politique qui n’avait rien que d’avouable, qu’il aurait fallu simplement suivre sans déviation et sans défaillance dès qu’on avait cru devoir, à un certain moment, sortir de la réserve, du recueillement où l’on s’était renfermé au lendemain des malheurs de la France ; mais ce qui ne peut en vérité passer pour une politique, ce qui ne ressemble plus à rien, c’est tout ce que le dernier président du conseil a cru devoir faire depuis son entrée au pouvoir, c’est ce système intermittent et méticuleux qui consiste tantôt à se retirer, tantôt à s’avancer, un jour à invoquer l’alliance anglaise, un autre jour à se mettre à la disposition du concert européen reconstitué en conférence à Constantinople. M. de Freycinet, au début de son ministère, faisait entendre les plus fières paroles sur la prépondérance et la position privilégiée de la France, sur la protection due à cette vaillante colonie qui portait si haut le drapeau français. Ce n’était pas la peine de parler ainsi pour en venir bientôt à laisser les événemens se précipiter, à temporiser avec les violences de la soldatesque égyptienne, à se désister des droits les plus légitimes de défense, à envoyer quelques navires qui n’ont eu d’autre mission que d’assister silencieux et immobiles au massacre des Européens à Alexandrie.

M. de Freycinet prétendait récemment, non sans une certaine amertume, qu’on ne lui rendait pas justice, qu’on ne tenait pas compte des difficultés de sa position, qu’on méconnaissait la logique qui présidait à tous les actes de sa diplomatie. Personne ne conteste au dernier ministre des affaires étrangères ni les bonnes intentions, ni les difficultés d’une position aussi délicate que compliquée. Quant à la logique qu’il a cru mettre dans sa diplomatie, c’est malheureusement la logique de la faiblesse, de la timidité, qui ne sait pas trop ce qu’elle veut, qui s’évertue vainement à concilier les choses les plus contraires, qui n’arrive à rien et finit par tout compromettre. Le chef de notre diplomatie a cru presque faire un coup de maître ou, dans tous les cas, se tirer d’embarras, prendre ses sûretés en s’employant de tout son zèle à mettre en mouvement le concert européen représenté pour le moment par la conférence de Constantinople. On ne peut certes parler légèrement d’un aussi grand personnage que le concert européen. Il est pourtant impossible de ne pas remarquer que si le chef de notre cabinet s’était flatté de trouver auprès de cet éminent personnage quelque garantie ou quelque facilité, il s’est mépris. Quand le