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laquelle nous nous arrêtons, comme à la plus probable. Ces forces, voici dans quel ordre Porus les disposa. En avant du front de bandière, il plaça les éléphans à 100 pieds de distance l’un de l’autre ; des pelotons d’infanterie remplirent les intervalles de cette première ligne ; en seconde ligne, Parus massa le reste de ses fantassins ; la cavalerie se déploya aux deux ailes, couverte momentanément par les chars.

De Taxila, l’antique capitale du Sind-Sangor, à l’Hydaspe, on compte environ 178 kilomètres ; le trajet ne dut pas employer plus de huit ou neuf jours. Néanmoins, de délai en délai, le temps avait marché ; déjà grossi par la fonte des neiges, l’Hydaspe allait bientôt se gonfler encore par suite des pluies abondantes qui, dans le nord de l’Inde, commencent à tomber aux premières approches du solstice d’été. La largeur du fleuve, quand Alexandre en atteignit la rive occidentale, dépassait déjà 700 mètres. Un cours rapide, brisé en maint endroit par des bancs de sable à demi découverts, des tourbillons tels qu’il s’en produit dans le lit heurté des torrens, ajoutaient aux difficultés du passage. Il existait, il est vrai, au milieu du fleuve plusieurs îles ; c’étaient autant de stations où l’on pourrait, quand on tenterait de franchir l’Hydaspe, toucher barre et reprendre haleine. Ces îles devinrent dès le début le théâtre de maint petit combat : Indiens et Macédoniens se faisaient un jeu d’y passer à la nage, portant leurs armes attachées sur la tête et sur les épaules. Alexandre, loin de les interdire, encourageait ces insignifiantes escarmouches ; il y trouvait l’avantage de tâter le terrain et d’aguerrir ses soldats. Les habitans du Pendjab étaient alors, ce qu’ils sont encore aujourd’hui, une race belliqueuse, au jarret nerveux, dont le corps souple, dur à la fatigue et insensible au mal, semble fait tout exprès pour servir une âme indomptable. Contre de tels ennemis il n’était pas inutile de se mesurer en détail avant la grande et décisive journée dans laquelle l’armée de Macédoine se préparait à jouer toutes ses conquêtes passées, pour ne pas dire son existence même. Deux jeunes gens de noble famille, Symmachus et Nicanor, suivis d’une petite troupe n’emportant pour toute arme que ses piques, allèrent un matin surprendre, dans un de ces)fourrés dont se couvrent dès les premières pluies les îles de l’Hydaspe, un parti d’ennemis que les tamaris avaient jusque-là dérobés aux regards et qui, de ce poste avancé, se croyaient en mesure d’observer sans danger les moindres mouvemens de l’armée grecque. Le succès couronna d’abord l’audace de Nicanor et de Symmachus ; ils firent un grand carnage des Indiens. L’ennemi malheureusement était bien plus nombreux qu’ils ne le supposaient : accablés par une grêle de flèches, les Grecs se virent enfin obligés de céder à l’orage ; ils battirent en retraite. Le fleuve les avait apportés sans prélever de