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les chaises curules. L’un d’eux, qui parait être le plus grave et le plus important, tient une sorte de sceptre a la main : il parle et l’autre écoute. Ce dernier, en écoutant, appuie son menton sur sa main avec une attitude naturelle à la méditation ; une mélancolie profonde est empreinte sur ses traits. C’est un affligé qu’un ami console d’une perte cruelle qu’il a faite. Vers le haut du tableau une petite figure ailée, une femme (couverte d’une langue robe rouge qui lui cache les pieds, vole dans l’espace et se dirige vers les deux vieillards. Elle représente l’âme de la morte, qui vient assister à l’entretien dont elle est l’objet. Idée touchante, qui devait venir à ce peuple si préoccupé de la vie future ! Des gens aussi convaincus que l’existence se continue au-delà de la tombe étaient naturellement amenés à croire que nos morts chéris nous écoutent toutes les fois que nous parlons d’eux.

Assurément tout n’est pas original dans ce tableau : le peintre imite les procédés d’un art étranger, mais on sent qu’il en est maître et qu’il les approprie librement à ses pensées. Le sentiment lui appartient, et il le traduit comme il l’éprouve. Quand on regarde ces belles fresques de Cœre et d’autres encore qui sont disséminées dans les musées italiens, il est impossible de ne pas se dire que le peuple qui possédait, dans ces temps reculés, des artistes capables de reproduire ainsi la vie et de donner aux figures qu’ils dessinent cet air de réalité naïve pouvait aller plus loin et créer un art national. Il me semble même que mous pouvons deviner, d’après ces débuts, quel aurait été le caractère dominant de l’art étrusque s’il avait pu se développer en liberté. Il se serait sans doute peu soucié de l’idéal ; il n’aurait pas trop recherché la dignité et la grandeur ; nous avons vu que, dans les fresques des tombeaux, les artistes aiment à peindre des scènes de la vie réelle, des jeux, des chasses, des festins ; qu’ils les peignent comme ils les voient, sans faire aucun effort pour les ennoblir par l’exécution, que leurs personnages sont des portraits ; et que non-seulement ils cherchent à les faire aussi ressemblans que possible, mais qu’ils s’attachent à rendre les moindres détails du costume. Cette préoccupation de copier exactement la réalité est si naturelle aux artistes étrusques qu’on la retrouve chez les sculpteurs aussi bien que chez les peintres. Quand on visite, dans le musée de Corneto, la salle où l’on a réuni les sarcophages, on éprouve une impression étrange. Les morts des deux sexes y sont représentés tantôt étendus tout de leur long sur leurs tombes, comme ils le sont sur le pavé de nos cathédrales, tantôt relevés sur le coude ; les artistes ont tenu à leur donner une attitude religieuse : hommes et femmes tiennent une patère à la main, comme si la mort les avait surpris pendant qu’ils étaient en train de faire