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le mouvement général, les yeux fixés sur Rome, n’eurent plus aucun caractère propre, et le peu qui restait d’originalité à l’art étrusque acheva de se perdre.

Voilà ce que nous apprennent de plus important les derniers travaux sur les Étrusques. Ces travaux, comme on vient de le voir, embrassent toute leur histoire. Sans quitter la colline de Corneto, on peut se donner le spectacle de toutes les révolutions que ce peuple mystérieux a traversées depuis son entrée dans l’Italie centrale jusqu’à sa défaite par les Romains. Tout n’est pas achevé sans doute ; il reste, dans cette histoire, des conjectures à vérifier, des lacunes à remplir, et l’on peut être sûr que les fouilles qui continuent ajouteront beaucoup à nos connaissances. Cependant les grandes lignes sont tracées et nous tenons la suite des faits principaux. Nous sommes mêmes parvenus, au milieu de cette nuit obscure, à établir quelques dates assez probables : nous savons à peu près à quel moment l’Étrurie a commencé à subir l’influence phénicienne, et quand l’art grec lui fut révélé. Ces résultats n’ont peut-être pas autant d’éclat et d’imprévu que certaines découvertes ; on y est arrivé lentement, à force d’observations minutieuses, par des efforts de travail assidu, en recueillant des tessons de vases, en épluchant de vieux textes, en entassant de petits faits. Cette route paraît longue aux impatiens et elle ne plaît guère aux faiseurs de généralisations brillantes. C’est la façon ordinaire dont procèdent les sciences d’érudition ; elles marchent à petits pas, mais elles avancent toujours, et quand on mesure le chemin qu’elles ont fait en ces quelques années, il n’est plus permis de les dédaigner. Nous avons éprouvé de nos jours beaucoup de mécomptes et il nous a fallu plus d’une fois renoncer à des espérances dont la réalisation semblait certaine. Seule, la science a tenu toutes ses promesses. Il est inutile de rappeler ici que de lumière elle a jetée sur le passé depuis le commencement de ce siècle ; l’étude que je viens de faire montre qu’au moment où il va finir, elle n’est pas encore épuisée. Nous lui devons une grande reconnaissance non-seulement pour l’honneur que nous tirerons de ses découvertes dans l’avenir, mais pour le bien qu’elle nous fait aujourd’hui. Elle a donné aux esprits curieux que captive la recherche de l’inconnu les joies les plus vives qu’ils puissent ressentir ; elle leur fait ainsi oublier d’amères déceptions ; elle les relève, elle les soutient ; malgré les tristesses de la veille et les inquiétudes du lendemain, elle leur permet de se dire de temps en temps, comme les Romains de l’empire à l’avènement d’un bon prince, quand une éclaircie se faisait dans leur ciel orageux, que malgré tout il est bon de vivre : vivere lubet !


GASTON BOISSIER.