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chercher le chenal, en trébuchant, quelques précautions que l’on prît, d’échouage en échouage, on donnerait très probablement le temps aux ennemis prévenus d’accourir. Déplorable incident qui va tout compromettre ! Voilà les occasions où le chef doit garder son sang-froid et s’abstenir soigneusement, s’il ne veut décourager ses soldats, de maudire la fortune. Alexandre fait explorer de tous côtés la berge ; des cavaliers plus hardis s’aventurent à sonder le lit du canal. Après mille tâtonnemens, ils sont parvenus à découvrir un gué. On passera, mais on passera moins facilement et en courant plus de dangers qu’on ne pense ; l’eau arrive jusqu’à la poitrine des fantassins et jusqu’à la tête des chevaux.

Grâce aux dieux, ce dernier obstacle fait pour mettre à si forte épreuve la fermeté du roi de Macédoine, cet obstacle qui a failli être le grain de sable jeté dans les rouages si délicats de l’opération, a été surmonté par la vaillante troupe avec laquelle Alexandre est habitué à tenter l’impossible ; l’ennemi désormais peut venir, il trouvera l’armée grecque prête à le recevoir. La ligne de bataille est rapidement formée : la cavalerie de l’agéma et quelques escadrons choisis se rangent à l’aile droite ; ils seront soutenus par les hypaspistes, que commande Séleucus. Le bataillon royal vient ensuite, puis le reste des hypaspistes Les deux flancs de la phalange sont protégés par les archers, par les Agriens et par les frondeurs ; les archers à cheval précèdent la cavalerie. Tel est l’ordre dans lequel l’armée se met en marche pour se porter vers le camp de Porus.

Malgré la contenance menaçante de Cratère, Porus semble avoir soupçonné que cette attaque de front n’était pas la seule contre laquelle il eût à se prémunir ; son instinct militaire ou quelque indice dont l’histoire ne nous a pas transmis la trace l’avertit qu’il se tramait une diversion plus ou moins sérieuse sur sa droite ; seulement il en apprécia mal l’importance, car il se contenta de détacher de ce côté un de ses fils avec cent vingt chars et deux mille chevaux. Si Porus eût attendu le rapport de ses vedettes, il n’aurait sans doute pas compromis, dans cette plaine ouverte, à 8 ou 10 kilomètres de son camp, une force aussi notoirement insuffisante. Le détachement qu’une inspiration soudaine lançait avec cette imprudence à la rencontre de forces supérieures devait arriver trop tard pour s’opposer au débarquement ; les Macédoniens avaient franchi le gué et formé leurs rangs, quand la cavalerie indienne apparut au loin, déployée à droite et à gauche de ses chars. Un instant Alexandre put croire qu’il allait avoir sur les bras toute l’armée de Porus. Il se met à la tête de sa cavalerie, détache de son infanterie six mille fantassins auxquels il prescrit de le suivre au pas, sans hâte, sans tumulte, ménageant bien leurs forces et leur haleine ;