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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/872

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pas réalisé le gain sur lequel on comptait, tantôt on a contracté une autre dette, tantôt on a manqué sa récolte, etc. Alors commence à poindre la tentation de compléter le déficit avec la récolte d’ autrui. Le champ est voisin, la nuit noire. On va, on cueille, on enlève grains ou légumes, on les porte au marché ; on paye, mais on est pris. Les tribunaux ont eu plus d’une fois à juger ce genre de délits chez de petits locataires ou possesseurs, lesquels ont eux-mêmes donné cette explication de leurs méfaits.

Nous voici en face de cette triste question de l’intempérance. Nul n’ignore que ce vice tient une grande place dans ces populations du Nord et du Nord-Ouest. On verra toutefois, si grand que soit le mal, que les campagnes en sont bien moins infectées que les villes et qu’elles sont loin de rappeler le fâcheux spectacle que présente la Normandie sous ce rapport. La statistique ne distingue pas avec assez de soin entre les campagnes et les villes, elle les rend par là solidaires à l’excès les unes des autres. D’ailleurs les moyennes de consommation peuvent être un signe trompeur. Que signifient-elles, par exemple, pour nos départemens du Midi, où l’on consomme le plus de vin, et qui ne sont pas ceux qui comptent, il s’en faut de beaucoup, le plus d’ivrognes ? Dans de pareils cas, le total établit seulement le grand nombre des consommateurs, et l’étendue de l’usage que chacun fait d’une boisson, sans aller pour cela jusqu’aux excès. Si je considère dans leur ensemble les campagnes de la Picardie, de l’Artois et de la Flandre française, j’arrive aux conclusions suivantes. La classe rurale boit souvent dans la semaine de l’eau ou de la bière assez faible, trop faible même. Elle se rattrape, il est vrai, le dimanche et les jours de marché. L’abus ne va pas le plus souvent jusqu’à l’ivresse, et d’ailleurs des cas d’ivresse ne sont pas l’habitude d’ivrognerie, qui ne chôme pour ainsi dire jamais. Quant aux excès presque journaliers d’une intempérance dégradante et dangereuse, ils se concentrent plus particulièrement dans les sucreries ; ils sont plus fréquens aussi dans les régions très rapprochées des villes, voisinage qui exerce une contagion funeste à tous égards. C’est là surtout que les cafés, nom plus noble donné aux cabarets plus ou moins embellis et agrandis, se sont multipliés, sans remplacer toujours les vieux cabarets, qui se maintiennent en plus d’une localité avec leur saleté traditionnelle. Les cafés ont pénétré toutefois jusque dans les villages. Ils ont surtout dans les localités semi-industrielles une nombreuse clientelle. Assurément le mélange dans les mêmes mains des occupations culturales et industrielles présente de sérieux avantages dans certaines conditions et dans certains pays, où il crée souvent des occupations dans l’intérieur de la famille, qui la fixent au foyer et qui doublent le salaire. Ce mélange habituellement est